Vision

Il faudrait remonter en courant le cours des siècles
Et se jeter au feu de la Vérité le torse nu.
Ecrire dans le tourbillon du jour, s’encrer à l’intuition.

– L’inspiration est le mouvement
mais n’est pas encore la couleur –

 
Ouverture

Chaque matin les fenêtres s’ouvraient sur le vieux pont.
Chaque soir le sommeil profond faisait des ronds.
La lune s’éloignait en barque et je voyais minuit en rêve.
Le déluge passait, le sureau sifflait.
C’était le jour des rumeurs
la corde du pendu au loin sonnait les noces
des vieux sur un banc croyaient à la rose de septembre
à l’appel du néant sous les plis d’une jupe.
Il y avait là une chevelure longue comme un couloir
des yeux de chat jaune fuyant le désert sous les eaux.
Le brouillard d’une ombre, une toile de fond.
Dans les forêts, on refaisait le voyage en chemise.
Des filles coiffées de vigne bougeaient des lèvres
des reflets d’hésitation en blouse bleue posaient de profil
des doigts humides gerçaient sur une partition oubliée.
La chair devenait naphtaline dans le matin clair
la lune bleue caressait des genoux ivres.
L’instant était venu de dire adieu aux vieilles lueurs.

 

Il est possible de voir trouble dans un reflet

Derrière-moi s’éloignent les écorces colorées pour la nouvelle saison par une main en
transhumance amnésique volontaire. Sur mon épaule, un chat à la joue ouverte se cramponne. L’hiver sera rude. Il passera. Nous marchons.
Des cimes plongent en ondées argentées, brillantes comme des lames au soleil de midi.
Mon oeil s’égare en route. Au souvenir de la châtreuse de larmes rencontrée ce matin des cailloux
plein ses poches. Au creux de ses mains, tenaient encore des rêves de Dame.

Et les oiseaux pépient
et les hommes épient
et les questions s’envolent vers des latitudes incertaines à l’orée du « quoi ».

Prince Grenouille convoque de fraîches fleurs
des nonnes copistes et des femmes affables
quand en dedans les caprices nocturnes gèlent à fendre l’âme.

Chaque coquille avance à pas de fourmi sur la page toujours plus noire toujours plus
dense. Inquiétante étrangeté. Entschuldigung. Yes, Sire; No more Sire.
Et je les suis.

 

Banale étrangeté

Des drilles sur une treille
ça se croise par là-bas
Allez voir
Il y a juste une femme à ouvrir.

 

A la belle étoile

Je suis arrivée trop tôt à la belle étoile. Les arbres dormaient encore. Les vieilles maisons sortaient
du froid.
Un accordéoniste expirait sur un bas-côté, j’ai lâché une pièce à ses pieds, son air défunt jouait en
silence une invisible harmonie.
J’avais rencontré aux abords de la ville une chorale d’estropiés, tous riants hurlants prêts à bondir
sur les secrets des grands chemins. On peut les entendre encore galoper sur le plancher de nos
démences.

Il y avait eu des pré verts que j’avais foulé à rebours.
Des corbeaux qui avaient guetté les errants pour les cerner d’un oeil de vitre à en glacer les sangs.
J’avais quitté tous les phares de la ville.
J’avais quitté ce pays où les voitures vont et viennent tenues en laisse
où les chiennes couvent au fond des garages.
Les roues d’aciers passaient et repassaient. Je finissais par me perdre dans mes pensées. Je
n’entendais plus rien à ce qu’on enterrait. Sous un soleil de plomb dans l’aile je me suis tue pour
parler encore. J’allais j’allais vers le village.

Le seul visage découvert
portait des rêves de pierre
gardait ses pensées à double tour
la tête penchée sous une couronne d’épine.

Depuis que je marchais
depuis que j’avais quitté la ville
quand la nuit venait
je savais qu’il ne fallait pas dormir au risque de glisser trop bas ou de céder sa chair aux serres des
corneilles. Seulement tenir à soi ses feuilles blanches entre les arbres. Et dormir en haut, toujours
en haut.
De là, je me tenais aux aguets.
Il fallait voir ça. Cette vue d’ici.
Je pouvais voir tout entier le temps s’effriter sur les pores des rochers, dans le creux des
cascades, sur les regards creusant la vague dans un mur de marbre.

Et plus loin là-bas
c’était peut-être Zangra
ou Quichotte
ou l’indomptable jumeau
ou le dragon impétueux
ou la poussière seulement qui se soulevait.

Sur l’auteur 

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Née l’avant dernier jour de l’année 1977, l’hiver lui sera toujours propice à l’introspection et le printemps aux premiers jets sur papier de ses germinations. L’été, elle récolte les fruits des saisons passées pour organiser dans une écriture qui se refuse au genre des fresques narratives où la poésie s’impose dans le dénuement du langage et du sens caché du monde comme il va.

Enfant elle lit passionnément et s’essaie aux contes tout en tenant un journal. Journal qu’elle tient toujours. Adolescente, une succession de bouleversements fait écho à ses sensibilités déjà anciennes : elle découvre la poésie et les concerts. Jamais sans un livre, un crayon, un carnet et un casque, elle scrute et note tout ce qu’elle voit et entend. Bretonne, elle part aussi au bord de la mer le plus souvent qu’elle le peut, surtout si ces échappées lui permettent de faire l’école buissonnière. Les étés deviennent trop courts pour tout organiser, les automnes passent et les écrits se fourrent au fil des années dans des malles qu’elle trimbale dans les différentes villes où elle s’installe dans sa jeune vie d’adulte. Puis un enfant vient. L’écriture cependant ne cesse de se frayer des brèches dans son quotidien. Entre les cafés et les langes, entre les repas et les nuits blanches.

Elle est l’auteure d’une quinzaine  de nouvelles, une quantité de poèmes, une pièce de théâtre et un roman. Tous restés dans l’ombre ou à peu près.