plongée dans la machine à recouvrer la mémoire
mémoire des textes oubliés volés déchirés supprimés
remis à plus tard
à jamais
ici les vieux chantiers d’écritures perdus
tapent à grands coups de marteaux dans mon crâne
et les rouages de la machine intérieure grincent et claquent
comme de vieilles portes
te souviens-tu de tous ces tableaux jamais peints ?
leurs paysages intérieurs me hantent
et les portraits me dévisagent
je me souviens vaguement avoir imaginé
un jour il y a très longtemps
la nature morte d’un rat sur le trottoir
c’était quand ?
il suffirait simplement de poser un cadre vide autour de la dépouille
quelques branches de phrases ont survécu
à côté des pinceaux séchés
sous le regard froid des fenêtres
elles poussent lentement
dans l’eau usée des égouts
sur les tuyaux percés des touffes de mots verts et secs
s’échappent vers le ciel
mon regard n’entend plus rien
pas une virgule
pas un point
juste le chant échappé des meurtrières
combien d’incipit de récits de romans
combien de premiers vers raturés
combien de croquis de croûtes et d’esquisses
inachevés ont échoué ici
de quelle voix suis-je le reflet ?
qui sont les personnages errant encore dans les couloirs
où vont-ils
vers une issue que l’écriture n’a jamais su trouver ?
les pauvres
les fils de leurs chemins sont tous emmêlés
ils marchent désormais d’une histoire à une autre
oubliant un peu plus à chaque pas d’où ils viennent
partout
entassées les unes sur les autres
mes idées mortes avant d’avoir écloses
partout
les portes closes sur le corps des textes
condamnés à perpétuité
est-ce le bruit de leurs larmes
d’où fuient-elles
de mes yeux à moi ?!
mes mains ne souviennent de rien
un chat passe
je hurle : — assassin ! tu as du sang sur les pattes !
la machine continue de tourner et je me demande
comment tuer le temps qui n’en finit plus de passer
silence
les pronoms orphelins de leurs verbes se défenestrent
sans un cri
leur esprit marche encore dans les couloirs
je les entends j’entends leurs voix
je peux même apercevoir leur lumière dans le noir
elle est blanche comme un écran dans la nuit
face à l’autel dédié à leur mémoire
mes mains tremblent
comment fonctionne la machine intérieure
où puise-t-elle son énergie
dans l’oubli ?
ses fils interminables sont-ils reliés à mon cerveau
à mes veines
à mon ordinateur ?
et si j’appuyais sur un des interrupteurs
la machine intérieure cesserait-elle de tourner ?
effacerait-elle toutes ses données
ou bien libèrerait-elle les voix et les couleurs qu’elle enferme ?
je lève les yeux vers les hauteurs de ce lieu
entre désir de vertige
et peur de tomber
sur le sol les cigarettes écrasées par dépit
les empreintes de la nuit menant à la table de travail
lâchement désertée
je relis les courriers jamais envoyés
les lettres d’amour ridicules
jetées de honte à la corbeille
sur les portes
des mots amputées
le nom d’un auteur
effacé
la bouche des murs reste close sur son identité
— quel métier souhaiteriez-vous faire quand vous serez grand ?
Poète avais-je répondu, j’avais même gravé le mot aux ciseaux sur mon pupitre, sans savoir vraiment de quoi il s’agissait…
je n’en sais pas plus aujourd’hui
voilà
je repars avec deux petits sacs de croquis
de phrases
pas grand-chose
adieu les pas
adieu les voix
la machine intérieure continuera de tourner sans moi
un
deux
etc… etc…
Texte/Illustration : Anh Mat
cliquer sur j’aime c’est dérisoirement peu
seulement que dire de plus ?
qu’il est heureux que la machine intérieure ne continue pas tout à fait à tourner sas vous
j’aurais voulu dire enfant..je veux être poète plus tard…oh! oui!
Descendu de la machine intérieure
pour
marcher
à pieds ?
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Merci pour ce texte qui dit combien de fruits il faut écraser
et laisser pourrir/brûler pour produire
un peu d’eau de vie