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« Ce texte a été écrit suite à une coïncidence étrange. Alors que je venais d’arriver au Vietnam pour m’y installer, j’ai assisté près de la maison d’hôte dans laquelle je logeais à la mort d’un chien, renversé violemment par une mobylette. Le motard en question s’est à peine arrêté pour regarder l’état de son véhicule. Il est ensuite reparti l’air énervé sans même jeter un regard sur la bête qui se vidait de son sang, les yeux ouverts…

« La scène m’a hanté l’esprit toute la journée. Le soir, une fois rentré, je reçus un e-mail m’annonçant le suicide d’une personne proche. Par la suite, l’entourage, devant l’incompréhension totale de cet ultime passage à l’acte (rien en effet dans l’attitude de cette personne ne laissait présager un suicide ) tentait au téléphone et par courrier, d’expliquer cette décision dans des discussions que je trouvais inutiles, parfois même obscènes…

« Je crois à travers ce texte, avoir tenté de faire parler une voix autre que la mienne, dénuée de tout sentiment, de tout élément biographique, de toute volonté de témoigner, de raconter, une voix sans identité, capable de poser des mots sur l’étrangeté, l’effroi nés de la coïncidence troublante des deux événements de ce jour noir. »

Voilà ce que j’écrivais il y a 5 ans pour introduire ce texte qui fut ma première publication publique… je me demande aujourd’hui pourquoi j’ai eu besoin d’inventer cette histoire :
Tenter d’articuler un propos là où il n’y en a pas. Par nécessité de mentir, oui, mentir pour feindre une gravité qui rendrait plus crédible, et donc plus justifiée, une prise de parole publique. Et peut-être aussi pour ajouter une couche supplémentaire de fiction et ainsi mieux voiler d’où ce texte est né : du néant. Le néant le plus nu qui soit, aussi nu que moi lorsque je l’ai écrit seul, d’une traite, en quelques jours, dans ma chambre, sur mon lit, petit laptop sur les cuisses. Phrase après phrase, clope sur clope, le texte s’est articulé de lui-même, solo soufflé dans le silence ( par le silence ? ) adressé à personne si ce n’est à ma propre solitude devenue quelqu’un d’autre. Ce texte date d’avant ma pratique numérique. Et aujourd’hui, alors que les lecteurs sur mon blog, ou sur ma chaine youtube, sont presque inexistants, il est une piqûre de rappel : j’écris pour moi seul, vers ma propre solitude. Si celle-ci devient assez étrangère et neutre pour être incarnée par quelqu’un d’autre, le lecteur est le bienvenu. Mais sa présence ne me regarde pas. Que le texte et lui se rencontrent sans moi.

« il y a quelqu’un » m’a toujours poursuivi. Parce que rien n’y est biographique. Il ne cherche à inventer aucune preuve. Il vient pourtant d’un lieu en moi profondément intime, j’y retrouve des traces de l’enfance, des couleurs vives de certains tableaux peints en maternelle, j’y ressens par endroit la douleur lancinante des plaies encore béantes, les premières blessures, les coups à l’orgueil porté par les mots des autres, les doutes identitaires face au crépuscule, le vertige face ciel étoilé, la soif des désirs inaltérables et indicibles qui m’habitent et m’habiteront jusqu’à la fin. Je relis ce texte comme on regarde un gribouillage d’enfant. Mais je reconnais le premier et le dernier trait. Oui je peux suivre du doigt le tracé du gribouillage qui malgré son apparente confusion, avait bien un début et une fin, un sens (probablement interdit), un chemin pulsionnel sur lequel ma mémoire va seule, anonyme, sans histoire, sans espèce certaine, bête inapprivoisée qui erre et flaire à mesure que la phrase digresse, les bouts d’une singularité retrouvée…

Cette série de 10 articles sera publiée deux fois par semaine, commençant dimanche 22 avril 2018

Texte     : Anh Mat
Dessins : Anna Jouy