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thermes

Il y a le jour. Il y a la nuit. Entre les deux, une cloison de pilules à effets retard, Je marche de douze en douze, graduée de flashs électrodes, de pincements et de torsions de nerfs. Le corps compte les heures et rapièce son ennui d’activités souterraines. Massages compris. Une douleur multiforme me garde en éveil et allume en moi des cellules de rage et des molécules de dépit. Le soupir devient un idiome. Je parlais, avant, dans le tourniquet des escaliers, dans le corridor, dans le bain. Sans modération, j’admonestais le hasard, les dieux, le contre-temps. J’étais sans vergogne. Ici la honte est une robe de chambre. Tout le monde y cache ses pansements, ses plaies et cette imperfection intolérable physique soudain si évidente; le corps disjoncte et ne tient pas la sacro sainte apparence. Nous somme tous, d’étranges champions du ni vu ni connu. On se glisse vers les toilettes, y vider prestement nos tripes trouillardes, on en sort linges blancs et front bas pour rejoindre silencieux son radeau délirant.

Voici l’heure de la douche. Une seule heure pour cinq douches et un nid d’une centaine d’estropiés de l’hygiène en sus. Mathématiquement, ça coule de source. Je roule sur Chaise Percée. D’autres, plus écolos avancent à la béquille et puis quelques piétons sans prothèses déambulent dans le secteur salles de bain, tous pareillement à l’affût d’une porte encore verrouillée qui virera au vert, libre passage. Je gare mon véhicule, je fais la queue. «Au suivant , au suivant… Brel dans ma tête savonne mes grimaces. Le corps affaissé. Le cheveu en pagaille, les plis, les veines, les ongles, la petite tache de vin contre le mollet, ma viande avariée viennent y chercher le ravalement de façade. Je suis pro-active, je veux prendre soin de moi, je veux sentir bon; mon cheveu sera léger, le pore resserré. Je serai tantôt dans mon vieux costard des anciens jours, juste après que cette eau miraculeuse, quasi de Lourdes ou d’ailleurs aura glissé sur moi, me ramenant du penchant des morts vers celui des levants.

Un ours passe, un vieux chien, une dinde, une gazelle… Je ferme les yeux. Je ne doute pas que je trouve dans ce bestiaire une place éloquente. Je lève la tête. Le miroir est là. Je suis de gouttière, chatte débottée, après une nuit de chasse à vide, la pelisse mal boutonnée attendant son heure de salubrité.

Après, dans mon radeau-lit, je lécherai félinement mes plaies.

Texte: Anna Jouy
Image : Les thermes