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pour les cosaques - le guetteur

Il y avait eu là, en des temps anciens, un fort en bois, puis en pierres, construit à l’instinct, repris avec début de science.

Et quand il était devenu parfait, il avait commencé à être déserté, n’étant plus vraiment utile, car la paix était venue se glisser peu à peu sur ce coin de terre, avec le goût d’une autre vie bonne que celle des grandes chevauchées et pillages.

Le seigneur, le comte, avait fait décorer son logis dans ce qui était maintenant nommé château, et l’avait rempli de mobilier, d’objets raffinés, et de bizarres merveilles venues de pays lointains.

Et puis s’était lassé des murs rudes malgré les tapisseries, les portes décorées, et il avait fait construire une demeure au bas de la butte, près de la rivière. Il y menait goutteuse et fière vie, y consacrait tant de ressources que plus n’avait de quoi entretenir une garnison devenue inutile.

Quand, plusieurs siècles, plus tard, ses lointains descendants prirent la route de l’exil, chassés par une fièvre populaire, il ne restait plus dans la petite forteresse mal entretenue qu’un vieux soldat, y traînant ses bottes effondrées et une vieille veste d’uniforme aux galons ternis, fort bon homme et bon chasseur, très ami aussi des paysans qui braconnaient sur les terres qu’il était plus ou moins sensé garder. Il vivait là avec sa jeune femme, une fille d’un pays étranger, rieuse, gracieuse et avenante, sans que jamais ne soit mise en doute sa sagesse.

Mais un matin, un garçon monté de la grosse ferme au coin du bois l’a trouvé mort sur le seuil de sa cave, un pistolet à côté de sa main… La femme, elle, avait disparu et jamais nouvelles d’elle ne sont venues. On jasa beaucoup, mais sans que les gens du coin ni les gendarmes n’arrivent à une conclusion. Et on ne pouvait la croire coupable, elle, parce que curieusement elle semblait bien l’aimer son vieux, lui être attachée. En tout cas nul ne la jamais revue.

Le fort abandonné servit de carrière et de repaire à des animaux, subit les attaques du vent, de la pluie et des plantes. Il n’en reste guère que le pan de muraille que vous voyez là haut au dessus du petit bois et surtout la grande tour carrée que des jeunes avaient entrepris de restaurer il y a quelques années, mais un jour on les a plus vus.

Il semble que ces pierres ne veulent plus d’humains depuis la mort du vieux soldat, c’est ce qu’on dit en riant, et peut-être pas en riant vraiment.

C’est une colonie de pigeons qui l’occupe, si je vous assure une colonie de pigeons, et la preuve c’est que chaque fois que je passe sous la tour il y en a un, perché sur un des créneaux, en train de guetter.

Texte et photo : Brigitte Celerier