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J’étais en colère. Une colère sans objet ou du moins sans objet méritant raisonnablement une telle colère. Une colère muette. Une colère que sentais monter en moi, tenter de me coloniser.
Ai rudoyé mon caban en l’enfilant et m’en suis allée, prenant soin de refermer la porte en douceur avant de me retourner face à la rue, d’avancer tête baissée d’un pas rageur.
D’un pas rageur qui s’est élargi, ou ralenti plutôt, assez rapidement pour laisser la place au vide, au plaisir inconscient, ou naissant, du mouvement.
Plaisir qui effleurait peu à peu, mais ne se montrait pas. Même si la rue semblait vide, avançais impassible, d’un pas devenu mesuré, longeais l’usine, les maisons en ligne puis de plus en plus espacées, les jardins.
Au crucifix j’ai tourné, j’ai pris le sentier qui descendait entre villas, potagers, puis patures, vers la combe, ai suivi le ruisseau jusqu’au gué, ai traversé, suis entrée dans le petit bois.
Un tout petit bois désordonné, plutôt un gros bosquet, où se faufilait une sente caillouteuse, entre branches, ronciers.
Et j’ai failli poser le pied – l’ai laissé en suspens si brusquement que j’ai failli tomber – sur elles, les lunettes. Des petites lunettes rondes cerclées de fer, sales, qui avaient un verre cassé, un verre troué d’un petit trou, et qui gisaient, une branche tordue en travers du chemin.
L’image d’un petit clerc bien souffreteux est passée humblement dans mon crâne, ai pensé Balzac je ne sais trop pourquoi – peut-être Gobseck.. il faudrait vérifier si Gobseck porte des lunettes – et puis très vite l’a remplacée celle de ce petit homme en gris rencontré à chaque coin de rue, dans chaque débat ou lecture des petites rencontres littéraires organisées dans le bourg, qui se glissait dans la pièce, saluant d’un hochement de tête les notables locaux qui lui rendaient avec une rapidité indifférente son salut, restant ensuite toujours muet, petit homme dont la banalité s’imposait, attirait le regard.
J’ai tendu la main vers les lunettes, et j’ai vu, à coté, le caillou plein de sang. Je me suis redressée, je suis restée un moment hésitante, j’ai regardé autour de moi, et puis j’ai entendu du bruit à ma gauche.
Suis entrée dans le bosquet. Un homme se redressait, au dessus de l’homme en gris étallé, tout de guingois, au sol, ses cheveux gris tout poissés de sang. L’homme a sorti son téléphone, et en me montrant d’un coup de menton ce qui était manifestement un cadavre, en murmurant «pas beau, hein !» il a composé un numéro
«La gendarmerie ? Pierre ? C’est Jacques Hutin.. dis, il y a la belette… oui Monsieur Philibert.. il est là dans le petit bois de la Rouillerie… l’est mort je crois. Il faut que vous veniez… Bon nous t’attendons» et nous avons attendu.
Je suis partie deux jours après et je n’ai jamais su la fin de l’histoire, ou plutôt ce qui s’était passé, ni si on l’avait découvert.
Texte et photo (d’une oeuvre d’Alain Timar) : Brigitte Celerier
Regrets pour ce petit personnage de roman
merci pour lui et pour moi 🙂
le coupable était peut-être le petit lapin…
ah oui… et moi et les gendarmes sommes trop sots pour y penser – la force des faibles