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L’oncle Jean avait une charmante moustache blonde, légèrement mousseuse, une élégance discrète, avec des traces presque subliminales de fantaisie, une politesse pleine d’aisance et un cabriolet.
Son cabriolet était lui-même charmant, sans grand éclat, de bonne facture mais légèrement usé, un peu démodé. En fait, il avait été propriété de son ami le baron de X, l’un des plus fashionables jeunes gens de Lyon, et il l’avait tant aimé que ce dernier le lui avait vendu lorsqu’il s’en était lassé.
L’oncle Jean avait passé deux ans à Londres, chez un tisseur, un correspondant de notre grand-oncle Louis. Il y avait confirmé son goût pour les étoffes, il s’y était fait des amis et en était revenu avec quelques notions de gestion pour entrer chez l’oncle Louis où il occupait, avec une attention sérieuse portée aux quelques affaires jugées importantes, une assiduité souple et un détachement discret, la place de dauphin putatif.
Il dansait bien, il parlait peu, se tenait résolument à sa place de second, juste derrière les jeunes gens les plus en vue, il savait être plaisant et charmeur, sans insister, ou résolument ennuyeux pour éloigner les relations qui lui déplaisaient. Les mères lui faisaient bon accueil, lui souriaient et lui faisaient confiance, avec juste les réserves raisonnables, assez pour que Marie-Amélie, la soeur d’un de ses meilleurs amis, accepte comme chose naturelle, sans que cela provoque de froncement de sourcils ou de sourire pincé de sa mère et des autres femmes, de s’asseoir à ses côtés dans sa petite voiture pour rejoindre un piquenique organisé par son frère dans la propriété campagnarde de la famille.
Jean découvrait en elle la jeune fille naissante, admirait son profil, supportait avec à peine un peu d’agacement le torrent de petites plaisanteries, petites niaiseries, gentilles naïvetés, fausse poésie qui s’était abattu avec elle dans l’habitacle, y devinant avec orgueil une timidité.
Seulement, une fois arrivés, elle le remercia gracieusement, lui tourna le dos et se dirigea à grands pas vers les écuries. Il la suivit, hésitant à se vexer. Elle caressait bien classiquement le cou d’une jument, la tapotait, murmurait des mots tendres. Mais ce n’était pas, ou cela ne semblait pas être, une attitude convenue, elle était toute à la jument, le reste, y compris son compagnon, n’existait plus, jusqu’à ce qu’elle se retourne vers Jean, le prenne à témoin de la beauté de la bête, lui propose, comme une chose évidente, une promenade, lance un ordre à un palefrenier pour qu’on selle une jument, bien douce ajouta-t-elle après avoir jeté un coup d’oeil évaluateur sur l’oncle.
Jean montait honorablement, sans plus, et le manque de goût qu’il avait pour cet exercice s’était mué en rancune depuis une très douloureuse et humiliante chute lors d’une chasse à courre (sport qu’il trouvait stupide) en Angleterre. Il la suivit pourtant, se piqua un temps d’émulation, se lassa rapidement, continua, et se fit intérieurement gloire de l’amener à chevaucher tranquillement au pas en «devisant», si ce n’est qu’il se lassa presque aussi rapidement de la futilité insipide de ce qui pouvait difficilement passer pour un entretien.
Ils revinrent vers la compagnie, essuyèrent deux ou trois petites phrases moqueuses des plus jeunes, un regard satisfait des femmes, comme en passant, distraitement, et elles renouèrent le fil de la conversation.
Dans les jours, les semaines, qui suivirent, les possibilités de trajets, puis de promenades, en partageant le cabriolet se multiplièrent, ce qui enchanta un moment l’oncle Jean, le plaisir de conduire s’augmentant de la joliesse du profil qu’il regardait du coin de l’oeil, agacé pourtant par la certitude qu’il serait amené, tôt ou tard, après avoir écouté ses commentaires machinalement émerveillés devant la beauté du paysage et le plaisir de la vitesse, à retrouver les chevaux, la jument, même si la jeune fille devenait alors charmante dans sa sincérité.
Et bien sûr il se lassa, et bien sûr il se rendit enfin compte que la bienveillance de la mère était sans doute un peu appuyée.
Il espaça ses visites, et, devenu attentif, il constata une légère déception chez les deux mères, une indifférence qu’il estima sincère chez la jeune-fille, il se félicita d’avoir échappé à ce qu’il jugeait un grand danger, et il s’ancra dans son idée qu’il n’était femme intéressante que mariée.
Texte et photo : Brigitte Celerier
Petit bijou
merci
du cabriolet à la cabriole, il n’y avait à cette époque qu’un petit trot…
nous sommes très bourgeois, on ne fait pas de cabriole avec les ingénues avant la noce 🙂