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Histoires sèches

Le puits, c’est cette eau de sable et de glaise percée dans les croûtes herbeuses, un orbe qui s’enfuit sous le silence des pierres. Quelqu’un a jeté le ciel dedans et les ondes du puits courent désormais de racines en racines.

C’est la révolte immobile du jeu des lunes. Ici s’arrête l’étonnée, bouche sombre d’un œil ou des ventres qui ont mal.

On vient y boire les moires figées de l’enfant. La source est un gobelet de souvenirs, on vient y déposer sa soif, un sou rochet dans le nombril de l’âme.

On y descend un seau, on remonte des clés et les portes nombreuses pendues à tes trousseaux gardent jalouses les bagues envolées.

C’est le fil du vertige, on tombe de terre se fracasser sur les tertres du soleil.

Le puits, c’est ce bruit de citerne que fait l’angélus du sang. Ici la mer se prend pour une plaine qui meurt aux oreilles; l’étendue est à la motte et la voile une paupière sur les vis de nuages. Tu attends l’eau.

Comme un truc qui n’ose pas franchir la ligne, passé au feu rouge, qui se fait des béquilles de tout bois. Comme on repasse le plumeau partout, beaucoup, souvent. Comme on se cuit un petit œuf dans une petite verdure avec une grosse de Badois pour tout faire descendre. Comme on attend midi et puis le soir pour avoir quelque chose à faire, beaucoup, souvent, une bricole à sortir du frigo. Comme on savate, on lainage, on liquette. Comme on descend au courrier. Comme on remonte du courrier. Tu écris comme on roupille, on rumeur, on panique. Comme on a peur des voleurs, des enfants, du chien, de la mort. Sans pourvoir au besoin. Avec des outils bien lavés, de la formule, du cousu sur la bête, dans le bâti. Clerc des minutes du passé, ce flux sec, beaucoup, souvent, et qui joue désormais les mots au poker.

Pluie. Monde pleine poire. Tu es. La vie te prend t’embarque. Tu es passager, inclusion dans le bois du navire, ligneux de chair et de feuilles. Greffe douloureuse dans les fentes. Tu racines avec peine, tentatives friables. Quelques fils peut-être te retiennent. Bouture de patience parmi l’aride Ton intérieur est fourbu de manques, de trous. Chacun d’eux se remplira d’eau et de marne. Es-tu bois de taille ou coque vide? Oubliettes ambulances qu’on a dit et tu es. Dedans, jamais dessus. Radeau infesté des pareils, ceux qui n’en seront jamais. Âmes souvent sèches et qu’on descendra un jour par mégarde, sur une rive de limon, sec pareil.

L’arc- en -ciel est un territoire assurément. Coincé entre deux méridiens de pluie. Lui sa réplique et la suivante encore. Un territoire qui ne s’aborde jamais, un territoire inassouvi, comme un désir comme une tentative. Toujours objet de conquête, toujours rebelle. La lumière prend corps avant l’impact de l’eau sur terre, un monde hors sol, poussé par le frémissement d’une averse. Les peintres sont-ils des averses, des rideaux de pluie qu’un soleil perfore?

Jeu de gouaches. Ma palette toute grise, taches brunes et petits tas de Sienne. Toute noyée, toute coulure dans des jus de fin d’œuvres. Avec en son milieu ce trou du doigt, le puits. Cette trace toute femme, ces râpures de nuages, les copeaux du reste du désir quand il vient de fondre, voile contre toile. La mienne quand se lève la lumière et que c’est déjà d’autres couleurs, d’autres touches d’autres embrassements de fruits et que brûle la nuit comme bois de sandales sur les pas défaits.

 

Texte et photo : Anna Jouy