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Orion

Orion (1982-1983)

Orion

Sentant sa fin venir
Dressa ses habitants contre leurs souvenirs
Contre leurs souvenirs

Extrait de « La mort d’Orion », paroles et musique de Gérard Manset

 

L’histoire de mes chiens. Reprenant langue.J’entre dans l’âge adulte. En 1982, je vis avec A. et un presque berger allemand. Nous écoutons l’album de Gérard Manset « La mort d’Orion » et comme c’est une année en « O », je lui fais don de ce nom aussi noir que son pelage. Choix funeste car Orion aura une vie aussi brève que celui de la chanson. Je ne peux m’empêcher de penser qu’avec un autre nom… il aurait vécu plus d’une année.

Aux dernières vacances de la Toussaint, en visite chez A. dans le Quercy où il habite désormais, je lui ai demandé s’il se souvenait des circonstances de l’acquisition de ce chien. Mais il ne se les rappelle pas. C’est lui qui me l’avait offert. Orion était aussi tumultueux que cette époque de nos vingt ans. Période de fêtes continuelles, de passion exacerbée, de vitesse et de danger. La danse et la lecture constituaient alors deux passions insuffisantes à assouvir toutes mes soifs. J’avais du mal à me satisfaire de cette vie.

Impression qu’Orion n’a vécu qu’un été. Pas de photo de lui. Je le revois au bord de l’étang de Saint-Leu d’Esserent où nous avions coutume de nous baigner. Très mal élevé, laissé libre de circuler, il était revenu un jour avec un sandwich dans la gueule. Orion était un voleur de pique nique fulgurant qui a vécu comme une tornade. Fugueur qui plus est. Un jour il n’est pas revenu. Je l’ai cherché pendant des jours, m’adressant à tous les vétérinaires du coin. A. a su avant moi mais n’a rien dit. Pour m’épargner. Pour que je puisse mener à terme les projets chorégraphiques en cours. Avec ma sœur et trois amies, nous venions de créer une compagnie de danse amateur « Anagramme » (la deuxième après « Vagabondanses ») et quelques spectacles à Cergy et l’Isle-Adam étaient programmés. En ce mois de juin se profilaient aussi les spectacles de fin d’année de mes élèves dans les différentes associations où je donnais des cours. Sur un carnet de 1983, je mentionne deux fois Orion, le 12 mai – en forêt ce matin avec Orion, c’est bien il n’y avait personne à cause de la pluie, ça sentait bon ! – et le 3 juin – seule avec Orion, A. parti à Paris – et puis en haut d’une page : S.P.A de Genevilliers : 798-57-40

Ensuite, quelques poèmes, quelques tirages du Yi King et cette page :

13 mai 1983 : naissance de Kiwi
arrivée de Kiwi le 19 juin 83
après Vagabondanses…

Kiwi (1983-1996)
Kiwi-1

21 juin : fête de la musique à Paris (de République à la Bastille jusqu’à Nation en passant par Voltaire – quelqu’un nous a demandé du feu, et le bus d’Higelin est passé (on nous a dit qu’Higelin avait fini son concert )–  On ne l’a pas vu !

Feuilletant les pages suivantes… je parle beaucoup d’écriture, de mon « envie » d’écrire (comme une envie pas si pressante que ça) un roman en particulier. Mais ce sont surtout des bouts de poèmes que j’écris à l’époque et les cadavres exquis avec les amis que je retranscris. Je parle beaucoup du départ pour le sud et je parais à la fois exaltée et angoissée. Peu de traces de Kiwi. De A. non plus d’ailleurs. L’arrivée à Aix-en-Provence signe le début de la fin de notre couple. Kiwi, c’est aussi lui qui me l’a donné pour redonner le sourire. Et Kiwi va devenir un peu un enfant de divorcés profitant au maximum de sa position d’entre deux maîtres. Maîtres de nos vies, si peu nous le sommes pourtant à ce moment-là. Si peu maîtres de notre chien qui est encore un chiot quand nous déménageons. Je me souviens que je prends mon café le matin au café au coin de la rue d’Italie alors que Kiwi a droit à un yaourt avec des vitamines. Je suis scrupuleusement le régime prescrit par le vétérinaire. Kiwi fait la conquête de tous. Il va grandir librement à Aix, à une époque où il est toléré que les chiens se baladent sans laisse (A. ne travaillant pas il l’emmène partout avec lui pendant que je donne mes cours). Aux terrasses de la place de la Mairie, Kiwi est plus populaire et plus connu que moi, grâce à la faculté de mon compagnon à se lier. Les deux compères reviennent régulièrement à l’appartement. Parfois séparément. Drôle de période. J’ai du mal à me faire aux gens du sud. Ils parlent fort, jouent à la contrée, se moquent de notre accent pointu.

Jeudi 4 août 83

De nouveau le silence…

Des gens sont entrés, ils ont mis de la musique. Ils ont dit des mots, ils ont parlé d’autres gens, puis ils sont repartis voir d’autres gens. Je n’avais rien à leur dire… Ils m’ont laissé les chiens : Tania et Kiwi jouent maintenant. Quand ils font trop de bruit, je les appelle, ils viennent se faire caresser et repartent pour d’autres jeux. Le soleil est de plus en plus bas et la lumière est douce belle. Rayons obliques dans un coin de la pièce. Le vent souffle de temps en temps et les insectes entrent par une fenêtre et ressortent le plus vite possible par une autre. Tout ce qui vit n’a pas un instant à perdre. Je profite des couleurs des pois de senteur cueillis tout à l’heure dans la petite sente. J’ai envoyé un message à Alexa. Lui ai raconté un peu Les Vagues de Virginia Woolf. Maintenant, danser ou lire ?

                                                                                                (Extraits du carnet noir et rouge)

Je cesse de tourner les pages. Cette période me navre. Ce temps perdu à me laisser balloter par le temps. À me morfondre et à pleurer. À me plaindre de n’avoir plus mes vrais amis (ceux qui sont restés en région parisienne) et ne pas faire d’efforts pour me lier à ceux du sud. Parce que ce sont les amis d’A. ? Parmi eux, quelques-uns vont devenir de vrais amis cependant.J’enfouis mon visage dans le poil roux de Kiwi. Il ne m’a jamais refusé sa consolation. Ses beaux yeux bordés de longs cils sont plus parlants que toute parole humaine.

Kiwi-3

 

Quand les humains et les chiens se regardent dans les yeux, leurs niveaux d’ocytocine, l’hormone de l’amour, de la confiance et du plaisir, augmentent nettement dans leur cerveau et renforcent leurs liens, ont découvert des chercheurs japonais.

Ce mécanisme a probablement résulté de l’évolution depuis le début de la domestication du meilleur ami de l’homme qui remonte à environ 30’000 ans, selon les auteurs de ces travaux publiés jeudi 16 avril dans la revue américaine Science.
(Tribune de Genève, tdg.ch du 17 avril 2015)

 

L’ocytocine ! Nous y voilà. Tout s’explique ! Au fur et à mesure que ma relation avec mon compagnon se délitait, celle avec mon chien me permettait de ne pas perdre tout espoir en l’humanité. Ma confiance en mes capacités de séduction ne s’est pas complètement effondrée grâce aux beaux yeux de Kiwi. Aussi séducteur soit-il, Kiwi m’est resté fidèle plus de treize années. D’un commun accord, nous avons fini par nous séparer avec A. et j’ai bien sûr gardé Kiwi. J’ai fait de nouvelles rencontres dont le père de mon fils né en 1989. Kiwi a été le gardien de sa petite enfance. De citadin, il est devenu campagnard. De nombreuses balades dans la colline ont fait notre bonheur à tous, pendant quelques années. Avec son vrai nom, Kiwi est même entré dans l’une de mes premières nouvelles, primée à un concours qui plus est !

Le jour est rond comme un pain. J’avance d’un pas long et tranquille. Je suis dans mon sang, dans mes pas, dans la pression du talon sur le sol qui fait circuler le sang et la vie bien plus haut que le cœur, jusqu’aux nuages.

Devant, Kiwi danse dans les hautes herbes. Mon bon vieux chien va bon train et de guingois. Lorsqu’à un croisement il se retourne, son bel œil valide me dit qu’il ne m’abandonne pas, qu’il m’accompagne encore un petit bout de chemin, simplement je choisis. Je prends celui à gauche qui monte en pente douce sur la colline, pour ménager son cœur ; je ne me résigne pas à lui mettre la laisse, comme l’a prescrit le vétérinaire. Il mourra en pleine course avec le vent.

Extrait de « Le jour est rond comme un pain » premier prix de la Nouvelle en mille mots, Fréjus, 1995.

Kirby et Fanny

La mort de Kiwi a été d’autant plus terrible que je n’ai pu l’accompagner dans ses derniers instants. Mon compagnon ayant voulu m’éviter la douleur d’assister à son euthanasie, a pris l’initiative d’aller le faire euthanasier pendant mon absence. Je lui en ai beaucoup voulu et décidé de ne jamais plus prendre de chiens ou de chats. Les dernières années de sa vie, Kiwi a vécu en harmonie avec une chatte, Fanny. Ne faisant pas l’objet de cette narration, elle n’aura droit qu’à quelques lignes. Sa présence fut pourtant une belle et précieuse et longue compagnie pour notre famille et mériterait un récit complet. Deux ans après la mort de Kiwi, j’ai cédé aux prières de L. et nous avons adopté un beau labrador noir. C’est mon fils qui a choisi de l’appeler Omer.

Voir « Le Jour est rond comme un pain » in Vous vivez dans quel monde ? (nouvelles), Éditions Qazaq http://www.qazaq.fr/pages/vous-vivez-dans-quel-monde/

Texte et photos : Christine Zottele