Tags
Cher ami,
Je me tiens à la fenêtre, à la rambarde des songes. Une plongée dans les longues perspectives. Ainsi, nous remontons vers le cœur en graine du jour où nous sommes nées, la fenêtre, – cette campagne insolite des promoteurs du vent – et moi, qui passe l’écumoire.
Voici un enfant, revenu de loin, vêtu d’un sarrau, sa poitrine bandée d’un souffle silencieux. Il nous chuchote à nouveau un poème et l’on se demande toujours ce que ça veut dire. Il écoute lui aussi, par des écoutilles, quelque chose sans doute de beaucoup plus profond encore. Dans ma tête, les vertèbres des ancêtres descendant jusqu’au cul du Diable. Quels frustes sauvages, quels sanglants tueurs de brebis, quels bourreaux de fœtus, charcutiers innommables furent géniteurs de mon grain? Loin, dans l’eau noire du derrick, là où se sont transformés leurs chairs, leurs os, l’arbre mort de leurs idées pendues, mutés en liqueur de paroles et d’images, profond, oui, de ce fuel du passé, je brûle de combustions arrogantes. De plumets fiers sur le képi du crâne, je fais feu. Et je tente en vain de chauffer quelques portions d’environs. Famille, vieux tas, débris, encens d’obscurité, je vous crache, je vous éructe.
Je vous chuchote, à nouveau.
En vrilles et stolons, les futurs ont grimpé jusqu’à moi. Je suis de la race des fabricants d’échelle, des sources qui tremblent et remontent, effaçant le sol dans des nuées de pierres et de cendres. J’aborde le vertical avec aux semelles, le plomb de leurs histoires. Je passe l’air, harnachée du scaphandre des mineurs de temps. Je suis lourde de ce qu’ils ont vécu et me revient la tâche de voler! J’en ai fait ma mesure. Dessaisir le temps de ma peau. Que je m’en aille libre si possible et ceux qui viennent de mon ventre aussi et mieux légers encore.
La fenêtre quant à elle, a des rêves si simples. Elle fusille l’horizon. Son désir ne cherche pas à descendre, ni à grimper. Il ne veut que des trajectoires modèles, des paraboles efficaces, atteindre un soleil où qu’il soit. Elle est née pour ça, la vitre. Verre, transparente obole des murs. Et elle file et m’entraîne aussi dans les flèches de sa vision. Là bas, il y a d’autres genres de profondeur, des espaces qui ne cessent de s’ouvrir encore et encore et de tracer droit devant me donnera une autre éternité. Je veux toucher l’horizontale des choses, me tenir couchée, dedans la vie. Non pas dormir victime, pelote aux amarres, mais filer droit, filer de la laine d’étoile. Voici donc un autre enfant, l’imagerie idéale de ce que cherche mon corps, vêtu de paille et de lumière, un cerf-volant, un ballon, son rire arqué vers le ciel. Il murmure lui aussi un poème et l’on se demande ce qu’on attend pour le comprendre et suivre ses oiseaux. La migration de son nuage.
Texte : Anna Jouy
Il se pourrait qu’un enfant,
s’enfuie avec mes chaussures,
courant dans les bois,
peut-être pour les porter à un lapin,
ressortir en faisant des bonds
à travers la prairie,
mes chaussures aux pieds.
On penserait aux contes
où un chat s’embotte, pour
conquérir une part de temps,
et se livrer à des exploits,
que seule l’écriture et le rêve
imaginent :
C’est une fille, je la vois.
Elle a une longue robe vaporeuse,
qui flotte et la maintient.
Ses pieds ne touchent pas le sol,
portée , légère,
par un courant d’air.
Elle s’appuie sur des crayons
volant dans le ciel,
Ils lui laissent des traces de couleurs,
répondant aux mouvements,
des ondulations de la princesse,
suivis, par la chevelure
brune, qui l’accompagne.
Elle a dépassé le toit,
qui scintille de neige .
Elle tient à la main,
des chaussures dorées,
et me fait signe de l’autre.
C’est un enfant que j’ai rêvé,
qui fait son nid dans les songes.
Elle s’en est échappé,
a donné un baiser au crapaud,
s’est accrochée à un rayon de lune .
Il se pourrait
qu’elle me rapporte des chaussures,
bien plus élégantes qu’avant .
Je ne vais pas oser
glisser les pieds dedans,
ou alors, si je le fais
ce sera pour écrire une suite
à cette histoire :
( je vous raconterai )
– comment je me suis évadé
de ma vie quotidienne,
en courant dans les bois,
rencontrer un lapin,
et puis un enfant qui me ressemble:
il était moi
dans « c’était une fois ».
Je connais le début
de ma propre histoire.
Mais pas la suite du livre :
celle qui était avant
( et bien avant ma naissance :
un point quelque part
dans l’univers )
J’ai dû le feuilleter à l’envers ;
il était, comme certains récits,
à double sens…
Quand je l’ai sorti
de la boîte à chaussures..:
Le rêve remonte à sa source.
RC