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Insomnie

Voilà ce bruit. D’où remonte-t-il ? Je dors sur des matelas de silence jetés par-dessus ce petit pois de son. Il me vient par le dos, par les canaux d’osselets de mes vertèbres, par le triangle de clavicules, par l’étrier, roulant ses mousses, et sa pierre, et sa montagne jusqu’au pavillon de mon oreille. Un météore une comète. Big Ben frappe le gong lointain du gardien du temps.

Et de son doigt doux feutré minuscule, il sonne en moi la diane et l’éveil.

Voilà ce mot entre les lèvres d’un papillon de nuit. Il a dû monter à la chaire de cette église, hisser l’homélie de l’infime. Il a grimpé les quelques marches du discours, de la soie à ses chaussures, des velours gisant à ses manches. Il a posé furtivement sa voix sur le prie-Dieu et de sa profonde inspiration, il a arraché à mes narines l’air calme du sommeil. Il a hurlé le psaume du vide, la harangue des asphyxiés.

Et de son appel doux feutré minuscule, il sonne en moi la diane et l’éveil.

Voilà ce grésil de coton dans la cage de Faraday des orages. Il pleut sur mon rêve une manne de flocons et ce bombardement continu de tulles perfore les obscurs bitumes sur lesquels je passe la nuit. Quelqu’un jette par poignées des bombes de pétales pour perturber l’eau lisse et sombre où l’on s’abreuve de sommeil.

Et de ce tomber doux feutré minuscule, il sonne en moi la diane et l’éveil.

Voilà cet éclat de bois dans l’arbre généalogique. Le père craque encore d’une belle tempête. Il lutte pour revenir, revenir sur la terre où je suis, et sa godille éternelle comme une conque dans l’étoupe écarte les cercueils taciturnes. Il craque et brise les codes muets des socles de ma tombe, fantôme au vent de Chiron.

Et de ce souffle doux, feutré, minuscule, il sonne en moi la diane et l’éveil.

Voilà cette clé qui mesure le pourtour de l’absence. Le mouvement imaginaire d’une arrivée, le pêne dormant dans la serrure, voyageur immobile du songe ; il mord l’air qui siffle. La porte tourne sur ses gonds et la Terre avec. J’y perds mon passe de nuit et se referment les battants du dormir.

Et de ce larcin doux feutré minuscule, il sonne en moi la diane et l’éveil.

Voilà le fluide chaud du ventre de la demeure. Le fleuve tire le volcan des forges secrètes. Les ondes chaleureuses froissent l’atmosphère. J’entends monter la tessiture de la cantatrice des Enfers, sifflant son Pacific 231. Honegger se cramponne aux aiguillages. Et je remets mon départ et mes villégiatures pour d’autres grèves et d’autres horaires.

Et de ce chant doux feutré minuscule, il sonne en moi la diane et l’éveil.

Voilà ce pas, un oiseau, un cheval, un dragon. Repos, tu prends tant de précautions et de figures pour marcher sur les arches de mes illusions. Tes formes sans fin trompent mes sens. Je te suis paisible ou je m’essouffle. Je dois parfois faire des choses impossibles, l’amour fou ou la mort quand tu m’obliges à trépasser. Et quand viennent mes fins violentes, quand j’en finis avec toi dans des épouvantes je ressuscite toujours du côté jaune de la nuit.

Et de ces rêves –ô terribles- doux feutrés minuscules, il sonne pour moi la diane et l’éveil

 dessine-moi un oiseau, j’en ai assez des moutons

même gris, même brisé de ciment.

découpe  un battement volatil, cette humeur, même goudronnée,

qu’on dirait transpirée des sépulcres

mets-moi ce vol à la page, tout charcuté de doigts de bagues de précieux  ergots

et puis son bruit de fenêtre ouverte, cette lame obstinée à cisailler la nuit

dessine-moi tout ça qui se tient sur ma branche, même corneille même pigeon,

ces volailles de gencives à nerfs

j’en peux plus de ne jamais rêver

de faire mes équilibres sur le parc des ouailles

et de tisser chaque nuit des laines interdites.

dessine-moi un œil de côté, un os à chanter  de la plume

et puis de l’air, de l’air à découcher

 

Texte: Anna Jouy
Peinture : ‘Insomnie’ , par Geneviève Duchâteau http://www.artabus.com/french/gchapurlat/insomnie