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Peut-être le sais-tu, je suis très loin. Loin de tous les bords, loin du cœur même de l’eau. Je t’écris du premier point de la ligne et au bout du bout, si loin du temps.

Un jour, une force m’a jetée. Était-ce un jeu du ciel ? Un badminton effrayant ? Je suis partie à la vitesse de l’éclair et encore maintenant je m’éloigne… Peut-être le sais-tu ?

Peut-être le sens-tu comme le sol n’est pas sous mes pieds, qu’il y a des grands duvets de cygne partout sous mes nuages et que mes mots je te laisse si tu sais lire le ciel ?

Je t’écris de cet endroit profond du secret, l’ultime anneau de la coquille, le point d’ancrage de la vie qui rampe. Du là-bas minuscule et essentiel. Je t’écris et me développe, de plus en plus large et immense, une terre entière qui s’étire.

De l’atome, de mes cellules, de mes tissus, de la membrane qui aimante et refoule, du fluide qui me projette et m’éparpille. Je t’écris. Cela vient du puits. Tous les messages viennent de là en bas. Peut-être le sais-tu ?

J’ai existé en toi comme un petit pois d’univers. Ensuite je ne maîtrise pas les arbres ni les géants. Je suis dispersée. Cela fait longtemps que j’ai perdu le cœur, l’épicentre ; longtemps que je défais ma pierre dans les ruines du temps. Ma ruine espère te revenir. Mais il en est de nous comme de tous les éclats, un cristal de chant en fuite.

Nous fûmes côté contre côté, un seul sang, un seul rire, un mot unique et le temps ne l’a pas supporté. Il a hurlé sa colère. Il a hurlé et me voilà dans son souffle, jusqu’au bout de l’éternité. Tu vois comme c’est loin…

Je t’écris, je tente ainsi de pister mon chemin. Tâche de me retrouver, essaie du moins…Fais un pas ou un voyage, bats des cils ou de la semelle : ne me perds pas dans « l’inanima ». Je tends vers toi quel que soit mon éventail.

Je t’écris, ce sont des météores, des flèches de buée. Le ciel en est plein, après les étoiles. C’est la poste restante. Il n’y a qu’un seul timbre à ma voix. N’oublie pas de ramasser ces cailloux. Ils feront pour demain une image. Tu diras que c’était mon visage. N’oublie pas de rassembler mes traces. Tu diras. Regardez c’est de l’amour qui passe…

Je t’écris encore ce matin…Ce sera comme ça des siècles encore. La fin des temps est loin et je pointe le morse des constellations. Toi seul peux réunir les carbones dont je me démets. Entre eux tant d’espaces qu’il faudra abolir. Tu sauras bien faire, découper un à un l’alphabet anonyme. Tu me reconnaîtras peut-être…

Peut-être le sais-tu, cet éperon de terre rongé de l’âme, mon île?

C’est loin la terre où je me tiens, assise, confiant à un peu d’eau, un peu de vent la mission de t’atteindre. Je ne doute pas que cela te parvienne. Je ne doute pas un instant qu’il faille poursuivre et sans cesse ne serait-ce qu’un seul soupir au jour le jour t’envoyer pour que tu ne me perdes de signe. Tu me retrouveras. Entre temps je mâche l’air et je racle le sel. Entre temps je maintiens à la main d’honneur, le signal. Argos pulse encore entre ces écheveaux

les arbres portent le ciel.
ils ont les ongles courts
et leur tronc comme une agrafe
du cœur de glèbe au cœur de l’eau

quelle robe revêtir pour aller à la prière jointe
d’un œil et d’un rêve
toi et moi
cousus de nuit

dans la soucoupe parfaite du jardin, le café d’un orage.
il grêle des pétales comme une tombée de sucre

tout le long de mon bras poussent des vésicules urticantes
le hérisson intérieur se fout en bulles

j’aimerais m’étonner de voir cette main vide quand il y a tant à donner
j’aimerais m’étonner de voir ce regard creux quand il y a tant à créer
le geste ne peut qu’ajouter à la surprise de vivre

la roue à aubes fait tourner la Terre
avec ce bruit de fil en aiguilles
toutes fichées dans un sol aux mille pluies

j’ai peint ma chambre en noir pour que mon doigt s’y enfonce
comme dans le front de la nuit

Texte : Anna Jouy