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Une toccata est une pièce de musique rapide et brève qui exige un haut niveau de virtuosité du joueur. La plupart des toccatas ont été écrites pour le piano, l’orgue et le violon. Bach, Schumann, Liszt, Prokofiev et des autres les ont composés. Beaucoup de pianistes en ont dans leur répertoire, surtout pour impressionner leur public. Mais pas tous. Sviatoslav Richter, par exemple, aimait jouer les Sonatas de Prokofiev, mais pas sa toccata, une de ses premières compositions. Opus 11, datant de 1912 quand Sergei avait 21 ans.
Les jeunes pianistes d’aujourd’hui prennent en référence les interprétations de cette Toccata par Vladimir Horowitz et Martha Argerich. Quand Martha enregistra cette pièce à l’âge de 19 ans, elle avait écouté la version de Horowitz bien attentivement. Quatre minutes et quarante et une secondes pile, tous les deux. Des TGV.
Prokofiev lui-même a enregistré sa Toccata vers 1919, sur rouleau de piano pneumatique. Surprise. Pas de shinkansen, mais une carriole à deux chevaux. Sur une route de sable, des pierres, stop, allez, doucement, attention ! Vers la fin, la carriole cliquette en bas et s’arrête avec un choc. Quelle belle interprétation pleine d’aventures!
Il y a des critiques qui disent que Prokoviev n’était pas un bon pianiste. Improbable, il concertait dans le monde entier avec beaucoup de succès. D’autres font remarquer que le système du piano pneumatique n’est pas parfait. Je ne partage pas cette opinion, c’étaient des instruments de précision, je vous vais le montrer.
Il est intéressant que l’un des plus grands pianistes de tous les temps, Emil Gilels, jouait la Toccata plutôt à la Prokofiev.
Écoutez la Toccata. Commençant avec Horowitz et Argerich, en succession.
Puis par Prokofiev, sur piano pneumatique:
Puis par Emil Gilels. Comparez les quatre. Pour moi, Gilels est le gagnant en termes de musicalité.
Je vous offre un supplément : Sergei Sergeyvich joue Sergei Vasilievich sur piano pneumatique, 1919. C’est la reddition de Prokofiev du Prélude en g-mineur de Rachmaninoff. Regarde le piano pneumatique et le rouleau qui tourne. C’est superbe.
PS Les pianistes du jazz ont leur Toccata’s aussi. Comme The A-train de Duke Ellington, joué par exemple par Michel Petrucciani (shinkansen) , joué à Tokyo avec le même équipe superbe qu’à Scheveningue où je l’ai entendu au Festival de Jazz de la Mer du Nord, pendant une soirée inoubliable,
et par Duke Ellington lui-même en solo ( carriole)
Texte : Jan Doets
Merci pour ce concert !
Il y a quelques jours à peine je m’amusais à faire une écoute comparée du célèbre « Precipitato » de la 7ème sonate de Prokofiev avec les mêmes interprètes ou presque, et quelques autres, qui me conduisait à des réflexions voisines de celles que vous exprimez ici. Amusante double coïncidence !
Certes Gilels est le plus « musical » dans la Toccata, mais son interprétation est-elle vraiment la plus « séduisante »… ?
Quoiqu’on dise, Prokofiev était assurément plus un compositeur qu’un pianiste, bien qu’il fût incontestablement très doué devant un clavier. Plutôt pudique, son jeu n’affectionnait pas les effets démonstratifs, alors que nombre de ses compositions pour l’instrument sont de violents appels à la virtuosité, comme ici, la « Toccata », mais aussi le fameux dernier mouvement de la 7ème sonate, le 3ème concerto pour piano… etc. Poulenc avait comparé le jeu de son confrère et ami au « fonctionnement régulier du ressort d’un moteur d’horlogerie de précision ». Il ajoutait d’ailleurs que Prokofiev interprétait ses propres compositions «sans détour». Voilà qui pourrait expliquer le tempo tranquille du Maître.
Chez les pianistes de jazz qui « Take a train », il y en a un qui ne prend vraiment pas le Shinkansen, c’est notre génial Oscar Peterson…
Merci pour ce billet ! Pardon pour ce long commentaire !
Merci, Jean-Louis ! Oui, j’ai toujours aimé Oscar Peterson aussi. Mais hier soir, sur la TV Djazz ici, j’ai vu 90 minutes de lui, son trio, 1963/64 en Scandinavie et je le trouvais répétitif. Ils nous a ébloui avec sa virtuosité mais à mon âge je préfère les aventures … (d’un Monty Alexander par exemple – ou dans un lointain passé : Jess Stacy (1938) http://www.youtube.com/watch?v=dGdD0NztzsA )
Pour « Take the A Train », il existe une interprétation avec un solo de clarinette basse d’Eric Dolphy de toute beauté.
Merci Dominique ! Oui, c’est cette tournée fabuleuse de Charles Mingus de 1964 (il était à Amsterdam aussi – des CD excellents) et voilà aussi un pianiste aventureux Jaki Byard, qui est parmi mes favoris de tout temps)
Je viens de découvrir cette vidéo tournée dans un atelier Steinway : Yuja Wang (que j’adore pour mille raisons, mais assurément d’abord pour les deux qui sautent aussitôt aux oreilles et aux yeux), joue la Toccata de Prokofiev.
Je me devais de vous en envoyer le lien après nos échanges sur votre article..
http://www.npr.org/event/music/279059784/on-a-chilly-factory-floor-yuja-wangs-piano-sizzles?autoplay=true.
merci merci Jean-Louis, elle est superbe ! je ne découvre votre commentaire que maintenant à cause de quelques jours de maladie !