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Jordi et Guiraud le cathare furent accueillis dans la plus vaste demeure du village. Construite en pierre de taille, elle attestait du statut privilégié de son propriétaire.
– Nous nous rendons chez Guilhabert, un maître tisserand fort réputé dans toute la région, avait annoncé Guiraud.
La bâtisse s’élevait sur la place centrale entourée d’arcades. Ils s’engagèrent sous un porche formé d’un arc en plein cintre puis s’approchèrent de la porte d’entrée. Fabriquée dans un bois lourd, elle était elle-même insérée dans un arc surbaissé typique des constructions que Jordi avait souvent observées chez lui, à Besalu (1) et dans les environs.

Guiraud frappa par trois coups réguliers et la porte ne tarda pas à s’ouvrir. Les deux voyageurs furent invités à pénétrer dans un intérieur sombre. Jordi put deviner dans la pénombre une cour intérieure dotée d’un puits. Un escalier de pierre conduisait aux étages.
Une silhouette grande et mince leur était apparue. L’homme, filiforme, était vêtu d’un manteau gris qui, attaché aux épaules et dépourvu d’ornements, tombait jusqu’à ses pieds. La même sobriété se lisait sur les habits et les visages des trois femmes qui l’accompagnaient. Les deux plus jeunes devaient être ses filles, se dit Jordi, et la troisième, visiblement plus âgée, sa femme.

Dans un même mouvement et sans avoir encore prononcé un seul mot, tous s’agenouillèrent devant Guiraud, posèrent leurs mains au sol et s’inclinèrent par trois fois en les baisant. A chacune des deux premières génuflexions, Guilhabert pria:
– Benedicite. Bon Chrétien, la bénédiction de Dieu et la vôtre, priez Dieu pour nous.
– Que vous l’ayez de Dieu et de nous, lui répondit Guiraud.
Puis à la troisième génuflexion, Guilhabert exhorta :
– Seigneur, priez Dieu pour ce pécheur, qu’il le délivre de male mort et le conduise à bonne fin.
Guiraud conclut alors à l’adresse de ses hôtes :
– Dieu en soit prié, Dieu vous fasse bons chrétiens et vous amène à bonne fin.

Enfin Guilhabert se leva et, s’approchant du cathare, lui donna le baiser de paix, que, dans leur parler, ils nommaient caretas. Il posa sa tête une fois sur l’épaule droite de Guiraud, puis sur son épaule gauche en le priant de le bénir, à quoi Guiraud avait chaque fois répondu : « Bon chrétien, priez Dieu pour nous » (2).

Toute la cérémonie s’était déroulée en langue occitane. Jordi en avait perçu le sens, tant sa langue à lui était proche de celle des Bonshommes. Ils n’éprouvaient aucune difficulté à se comprendre.
Le rituel dont il venait d’être témoin s’appelait le melhorier. Il était pratiqué lorsqu’un simple croyant rencontrait un parfait, c’est-à-dire un cathare plus avancé dans la hiérarchie de l’église et qui avait reçu des enseignements ignorés des foules.
Le melhorier, ainsi que son nom l’indique, consistait en une forme d’adoration par laquelle le croyant pensait s’améliorer lui-même, devenir meilleur pour chasser le mal qui l’habitait et accéder, par étapes, à son vœu de vivre, une fois dépouillé de son enveloppe charnelle, dans le pur Esprit de l’amour chrétien.

(1)   Besalu est un bourg de la province de Gérone, en Catalogne, connu pour ses nombreux édifices d’architecture médiévale. Une abbaye bénédictine y fut fondée en 977. Des vestiges témoignent également de la présence d’une importante communauté juive. Les possessions des comtes de Besalu s’étendaient jusqu’en Occitanie.

(2)   Le déroulement de la cérémonie est emprunté à l’ouvrage « La religion des cathares » de Jean Duvernoy (éditions Privat).

Texte et photos : Serge Bonnery  (1 – Vue de Besalu  2 – Maison de pierre à Besalu )