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Ce soir là c’est Borislava qui commença
«Donc la staroste pleurait en cachette, attendait son aîné, ne prêtait guère attention à Pierre, puisqu’il était là, sage, un peu terne… Mais un jour ce fut l’affolement au château. Pierre arpentait la salle, visage tourmenté, avec de grands envols de son habit chaque fois qu’arrivé à un bout, il se retournait brusquement et il lançait des ordres qui augmentaient la nervosité des domestiques ; des servantes pleuraient ; le médecin familial jetait des noms aux messagers qui s’éparpillaient à la recherche de ses confrères. La staroste était malade, très malade, et il s’avouait incapable de la soigner.
Une vieille servante, en larmes, a souri en voyant arriver le prêtre, lui a baisé les mains, l’a précédé, chandelle haute, espérant que le soulagement de l’âme de sa maîtresse serait l’aube d’une guérison.
Il est entré dans la grande chambre où elle gisait dans un nid froissé de draps de lin et dentelles, amas blanc sur le somptueux et rude lit noir orné d’argent, sa face blanche aux lèvres sans couleur émergeant seule, au sein d’un amas de cheveux poissés de sueur, à la lueur des bougies. Il l’a saluée, a fait sortir tout le monde, il est resté seul, la regardant. Seuls les yeux bougeaient, fuyant les siens, revenant, le fixant comme pour une prière, un appel, repartant.
Il l’a confessée, difficilement, lui arrachant de courtes phrases…»
Oksana s’est levée, Borislava a fait un pas en arrière, Oksana un pas en avant, a continué
«Elle disait qu’elle avait commis des crimes – Quels ? – J’ai trahi. – Ton mari ? – lui ?pas de corps mais d’âme, … j’ai trahi mon bien-aimé, non ce n’était pas mon mari.. j’ai commis un meurtre, non il a commis un meurtre.. – Qui ? Et qui a été tué ?
Mais elle n’a pas répondu, et, comme elle disait qu’elle se repentait, il l’a bénie sans insister.
Elle est devenue calme, a fait venir Pierre pour l’embrasser, a communié et confié une lettre au prêtre en lui demandant de tenir secrète sa signature.
Et, à ce moment, juste à ce moment mes enfants, on a entendu du bruit dans la cour du château, des gens qui couraient dans les escaliers, elle a crié que c’était son fils tant aimé, son Ivan qui arrivait, qu’elle savait bien qu’elle le reverrait avant de mourir, Pierre s’est rué dehors, et elle avait raison, c’était bien Ivan, grand et beau, fier, le yessaoul de l’attaman en chef des Zaporogues, accompagné d’un jeune cosaque, Dzura, auquel il a lancé ses rênes, avant de se jeter sur Pierre, de l’embrasser rudement, de se reculer en s’apercevant qu’il pleurait, de demander sa mère.»
Borislava s’est dressée, a tapé dans ses mains, a dit «C’est l’heure du dîner les enfants !»
Texte : Brigitte Celerier