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Chaque matin, en rupture de nuit, je crois redresser l’aube. Parce qu’entre chacun de mes jours, j’ai le sentiment de revenir vivre. De commencer à chaque fois le monde. Pas de sensation de continuité, je ne poursuis rien. Je disparais dans le sommeil et soudain, ici, à la lumière naissante, je débute une vie, une vie de 18 heures, une vie sans passé mais pas sans histoire.
C’est le soir que tout prend cette forme, c’est le soir que me rappelant du matin, de l’aurore, je constate à quel point c’est loin, c’est ailleurs, c’est autre chose. Je ne connais plus la femme du début du jour. Je vais ainsi dans ce présent noir de la soirée. Avec des pensées vagabondes, des projets nomades. Je me dirige vers le sas de transformation. Celui des déportations, le pays des résidus de tous les jours oubliés. Perdus. Je pars vers ce lieu, ces terrains vagues, ces villes identiques, ces repères venus d’autres anciens rêves. Je vais dormir, remettre le tableau noir au propre. Un coup d’éponge. Demain je serai neuve, je renaitrai demain.
Au réveil, je n’aurai pas l’idée d’un domaine, d’une saison, d’une année. J’arriverai avec ma chair presque pareille mais l’âme différente. Je serai le monstre, l’épouvantail. Je serai l’ouvrière, la vendeuse du supermarché, je serai peut-être l’homme qui a écrit une phrase sublime qui ouvre mon cœur à l’aube. Je ne sais jamais qui je serai et parfois, le matin je m’aime et parfois je me hais. Parfois, je suis la sainte et d’autres la pute, la catin, la précieuse.
Alors vêtue de mon personnage, je passerai mes heures, envoutée et comédienne, prisonnière des émotions de l’aube.
Avez-vous appris qui vous êtes, vous ? Avez-vous une idée de vous-mêmes ? Vous sentez-vous, corps et âme ? Habitez-vous votre être, habitez-vous votre existence ?
J’essaie chaque jour la forme neuve. Mon corps, quand il passe devant les miroirs, me semble un étranger, un étranger insistant, mystérieux et impénétrable. Je pense que cette chair se promène et croise souvent les mêmes visages. Je me dis qu’eux seuls savent qui je suis et me reconnaissent.
Etes-vous comme moi ? Vous sentez-vous dépossédée de vous-mêmes, sans ancre ? Revenant chaque matin dans l’instable de votre personnage ? Etes-vous, vous aussi, à écrire chaque jour pour remplir le moule vide de votre silhouette et êtes-vous à espérer que tous ces mots, vous feront une présence ? Et non ces costumes de pantins essayés et puis abandonnés, chaque jour fini.
Texte et dessin : Anna Jouy