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Les Cosaques des Frontières

~ refuge pour les dépaysés

Les Cosaques des Frontières

Archives d’Auteur: lecuratordecontes

La mort du tu

26 dimanche Mai 2019

Posted by lecuratordecontes in Anh Mat

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Anh Mat

la mort du tu

Tu as jusqu’à aujourd’hui écrit en mon nom, t’appropriant l’épuisante banalité de mon quotidien, son angoisse de chaque heure, empruntant même les traits de mon propre visage, comme pour donner une preuve tangible de ton existence. Je n’accepterai pas cette usurpation d’identité plus longtemps. Sous tes mots mes traits sont devenus grossiers. Toi qui prétendais chercher l’anonymat, tu es devenu un véritable prénom qui parle seul — et non plus un pronom anonyme qui s’adresse à moi.

« Tu est un autre ». Tellement autre que l’autre n’a d’ailleurs plus aucune place en toi, il n’a qu’un statut d’objet. Ton monologue fait du lecteur un spectateur qui n’a aucun mot à dire. Ta fausse intimité ne touche à aucune universalité : tu fais semblant de confier des choses pour mieux dissimuler ce que tu caches. Sache que le dénigrement perpétuel de toi-même, des autres, dans lequel ton écriture s’enferme, est une posture fatigante, grotesque pour celui qui te fait l’amitié de te lire.

Tu ne reviendras pas de là où je m’apprête à t’envoyer. Mes nuits blanches ne sont plus les tiennes. À la fenêtre tu ne vois ni n’entends plus rien. La ville, ses habitants, leurs silhouettes et visages filants, les premières gouttes sur la vitre, le mouvement du fleuve, des nuages noirs dans le ciel, tout disparait sous tes yeux en ce moment même. En un éclair, je recouvre la vue à mesure que tu perds la tienne. Tu n’as pas entendu la foudre tomber, la porte de ta chambre claquer, ni les cris des enfants trempés qui jouent en bas. Tu te demandes si tu n’es pas en train de rêver, te pinces fort la cuisse dans l’espoir de te réveiller mais tu ne ressens absolument rien. Tu commences sérieusement à prendre peur. Tu aimerais crier mais tu as perdu la voix. Tu commences à comprendre que le néant reprend ses droits sur ton être. Tu n’as plus de matière. Ton pronom « Tu » est désormais à sec, sans salive, en panne de sens. « Tu » est déjà entre guillemets. « Tu » ne laissera aucune trace par ici, pas une rature, rien. Il suffit de tirer les rideaux. Dans la chambre il fait noir. Je suis seul. « Tu » n’est déjà plus.

 

Texte et photo : Anh Mat

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Chroniques du su et de l’insu | 5 La pouffiasse fait mon miel

24 vendredi Mai 2019

Posted by lecuratordecontes in Christine Zottele

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Christine Zottele

Pouffiasse

Réveillé, l’autre me soufflait de vilaines questions, de celles qui tournent dans la tête comme des mouches dans une pièce aux fenêtres fermées. Elles m’empêchaient de me concentrer sur l’essentiel. Il me fallait pourtant réfléchir sur l’emploi de ce mot, pouffiasse qui avait déplu à Sonia. Qu’est-ce qu’elle croyait ? Moi, non plus, il ne me plaisait pas ce mot. D’abord, ce n’était pas moi qui le prononçais mais Bert, l’une de mes ogresses[1].  Quel autre vilain mot, un mot assez putassier pour dire l’horreur inspirée par quelqu’un qu’on a considérée comme sa fille et qui vous trahit de la plus ignoble des façons ?  Est-ce que j’avais le choix ? Ensuite, il y avait la remarque de Gustavo qui ne cessait de se cogner à la vitre (sale) de mon cerveau. De quoi veux-tu parler en fait dans ton texte ? De la trahison ? Du combat féministe de ces vieilles femmes qui se retrouvent à vivre ensemble sans vraiment l’avoir choisi ? Si c’est le cas, vas-y carrément ! Carrément ? Comment écrire de manière carrée ? Impossible pour moi. Rondement à la limite, mais si j’avais une forme à choisir ce serait plutôt le triangle, mais écrire triangulairement restait assez abstrait. Je préfère employer le terme d’oblique, pour qualifier l’écriture, n’en déplaise à Gustavo. Et puis moi je ne voulais rien, pas parler de quelque chose en tout cas.

L’autre aussi (le narrateur de mon for intérieur), me reprochait d’écrire sans y toucher, de rester à la surface des choses, de ne pas y aller à fond. Mais si je plongeais au fond des choses, je risquais de ne plus rien voir – tel ces poissons aveugles des grands fonds. J’aimais bien me tenir au bord des choses, même si c’était l’abîme, surtout si c’était l’abîme – la vie est un petit trottoir en surplomb d’un abîme,  écrit Virginia dans son Journal, le 25 octobre 1920 – et me pencher un peu, regarder au fond, mais pas plonger, ne pas me noyer, pas tout de suite, jamais si possible, me convenait très bien.

Quand ça voulait pas, ça voulait pas. Il fallait bien l’admettre, je n’arrivais plus à avancer cette maudite pièce. Mes ogresses me traitaient de pouffiasse. Même plus à la hauteur du poète autoroutier. Pourtant, lui aussi n’était pas au meilleur de sa forme. Des haïkus de plus en plus dieu ancien testament dictant en lettres de feu du haut de son nuage :

LA CEINTURE
À TOUT MOMENT
TU PORTERAS

Scrupuleusement, je me les répétais en boucle pour les mémoriser et les noter dans mes carnets dès que je pouvais m’arrêter sur le bas-côté. Parfois ça me polluait le cerveau jusqu’à la maison. Aussitôt notés, je tentais de les oublier en allant marcher sur la colline mais ils revenaient bourdonner comme des mouches.

ROULER TROP
VITE = FINIR
SA VIE TROP TÔT

Celui-ci en particulier me désolait avec ces coupes bizarres, ce signe « égale », et ces capitales – certes le format écran lumineux de l’équipement autoroutier l’exigeait – ce style gravé dans le marbre, ce manque de rythme surtout… mais ce n’était peut-être pas un poème après tout… Quelqu’un  – chef ou narrateur intérieur – lui imposait-il un thème, des consignes précises autres que la contrainte des trois vers ? Serais-je capable de broder sur « vitesse, vie, mort » ? Ainsi me sentais-je acculée à tenter l’exercice à mon tour. À la fin de la promenade, je n’aboutis qu’à deux piètres résultats :

La vitesse grise
La feuille sur son dos savoure l’escargot
Cellule de dégrisement

(Je n’avais même pas réussi un rythme 5/7/5)

Finir un haïku
Trop vite ou trop tôt
Poète tu nous roules

(Celui-là, pastichant celui du poète autoroutier fit mon miel)

Le lendemain, je le fustigeai et fulminai de nouveau.

UN BREAK
TOUTES LES DEUX HEURES
TU T’OFFRIRAS

Si je voulais d’abord ! Si je voulais ! Je garderais pouffiasse pour l’instant. Il me fallait tout reprendre, tout relire, tout réécrire !

Texte : Christine Zottele

[1] « Les Ogresses » est le titre provisoire de la pièce écrite par la narratrice et qui lui donne tant de difficultés à ce moment-là. Une lettre du 8 mai 2019 adressée à Agathe Lebrun fait état de cette conversation avec Sonia : «… je reprends les dernières scènes des « Ogresses », celle notamment où Nef se fait traiter de pouffiasse par Bert. Sonia n’a pas cessé de me répéter que je n’étais pas obligée de tomber dans ces facilités et ces vulgarités, mais elle n’a rien dit sur profiter qui pour le coup me pose vraiment problème – tellement plus ordurier que pouffiasse…  mais je ne parviens pas à trouver de substitut à profiter, dans profiter de la vie par exemple, il y a bien cueillir le jour mais ça n’est pas toujours possible» voir Lettres, tome 2 de la présente édition, p. 59.

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Marlen Sauvage

22 mercredi Mai 2019

Posted by lecuratordecontes in Marlen Sauvage

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Marlen Sauvage

Depuis sa naissance en Allemagne fin 1956, puis l’Algérie de sa petite-enfance, Marlen Sauvage vit dans la nostalgie d’un lieu qui n’existe plus. Après de multiples déménagements et de nombreux voyages, elle finit par s’installer de longues années en Cévennes, puis repart au-delà de la Méditerranée, pour venir enfin vivre en Drôme provençale.

Journaliste et animatrice d’ateliers d’écriture (diplômée du CFPJ et de l’université Paul-Valéry – Montpellier), elle travaille en région parisienne pour la presse écrite, dans le domaine de la culture et des sciences humaines, puis se tourne vers l’animation d’ateliers d’écriture qu’elle pratique durant quinze ans auprès de tous publics. Elle publie quelques livres issus de résidences où elle met en scène l’écriture des autres (éd. Foyers ruraux de Lozère, éd. Les Ateliers du déluge) ; contribue à la revue La Piscine (2) et à une anthologie de haïkus (Climats) ; participe à des recueils collectifs : Tiers Livre Editeur ; Gros Textes ; contribue au web littéraire de Jan Doets, Les Cosaques des frontières (Séries de portraits de gens et de lieux). Depuis 2006, elle met en ligne textes et photos sur son blog Les Ateliers du déluge https://les-ateliers-du-deluge.com

 

 

Texte et images : Marlen Sauvage

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Au Moonshiner #1

18 samedi Mai 2019

Posted by lecuratordecontes in Gwen Denieul

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Gwen Denieul

 

« La loi du grand amour est rude pour qui s’est trompé de chemin. » Jacques Higelin

Cinq ans s’étaient écoulés depuis notre séparation lorsque j’ai croisé Béatrice par hasard à Barbès, dans le quartier où on avait vécu ensemble pendant un an. Lorsque je suis tombé sur elle en sortant de la pharmacie, à l’angle de la rue Labat et de la rue Marcadet, elle était devenue pour moi à peine plus qu’une ombre dans un coin de mon cerveau. L’essentiel des sensations que j’avais voulu garder d’elle remontaient aux quelques semaines de tension délicieuse qui avaient précédés notre courte vie à deux, lorsque j’essayais d’attirer son regard et qu’elle feignait l’indifférence. Et puis bien sûr il y avait eu aussi le paradis fugace du tout début, son rire moqueur ce soir de cinéma de plein air à la Villette, ses yeux brillants, ses gestes sans doute un peu trop nerveux, ses cheveux en désordre, sa peau mate, ses dents très blanches, le parfum de rose qui flottait dans l’air cette nuit-là, et le premier baiser, à peine un baiser d’ailleurs : mes lèvres frôlaient les siennes que déjà elle faisait mine de s’enfuir, riant toujours d’un rire si musical. Je voulais que tu meurs d’envie de m’embrasser, m’avait-elle confié plus tard. Il m’arrive encore, bien des années après, de tenter de ressusciter ce presque rien qui était là et qui alors était tout pour moi. Ensuite, on avait fait l’erreur de vouloir vivre ensemble dès le début de notre relation dans le vingt-cinq mètres carrés que je louais rue Myrha, et le climat de passion des premiers moments s’était vite dégradé. Après six mois de vie commune, notre histoire déjà se morcelait. Depuis nos retrouvailles fortuites dans notre ancien quartier, je revois Béatrice environ tous les six mois. Durant ces rendez-vous réguliers, quasi-clandestins (à Sarah je préfère ne rien dire) on se parle plus librement qu’avant. Nos conversations sont plus légères, et aussi plus tendres. On n’a plus besoin de jouer la comédie du couple qui s’aime follement, puis se lasse et se déchire. N’oublie pas les éblouissements du début, me crie tout bas mon frère d’ombre, n’oublie pas les quelques jours d’amour fou que t’as vécu avec elle. Les jours augmentaient. Les premiers temps, tu n’en revenais pas de la retrouver chaque soir à l’appart. Tu n’en es pas revenu pendant trois mois au moins… Après les choses changent, et souvent elles tournent mal.

Le passé sédimenté s’accroche à mes basques. Désormais je crois qu’aucun de nous d’eux ne peut se résoudre à sortir l’autre de sa vie. Après chacune de nos rencontres, des choses qu’on n’avait pas clairement perçues lorsqu’on vivait ensemble refont doucement surface. Durant de brèves éclaircies, elles illuminent alors le présent d’une clarté surprenante, un peu comme ces rêves qui mettent en lumière certains détails que l’inconscient a enregistré tout le jour. Cet après-midi j’ai donné rendez-vous à Béatrice au bar fumoir le Moonshiner, pour la chanson de Dylan, l’ambiance speak easy et aussi parce que j’avais envie de retrouver notre passé de fumeurs endurcis. Je la regarde s’asseoir dans le profond canapé en cuir noir. Toujours l’impression qu’elle débarque d’un autre temps, comme si ses palpitantes narines avaient respiré d’autres siècles. Je lui propose une Lucky, ses clopes préférées. J’aime voir son sourire coupable quand elle l’accepte. Ça fait un an qu’elle essaye d’arrêter mais la cigarette fait partie des plaisirs qu’elle se garde en réserve, pour ses rares moments de quiétude, m’a-t-elle dit la dernière fois.

Béatrice a cinq ans de plus que moi. Elle sortait tout juste des études quand j’ai fait sa connaissance. Elle angoissait à l’idée de devoir chercher du taf, d’être obligée d’entrer dans la lutte, comme elle me le répétait souvent. Ce qui est évident pour les autres ne l’est pas pour moi, mais alors pas du tout. Moi j’avais 18 ans et j’étais encore plus paumé que maintenant. Je m’étais égaré dans une prépa HEC et me rendis vite compte qu’on nous préparait là aux métiers les plus cons qui soient. Après avoir galéré pendant huit mois, Béatrice a fini par trouver un poste dans une boîte de castings pour la pub et le cinéma. À son grand étonnement, elle s’est sentie à l’aise dans cet environnement pourtant éloigné de ses études. Elle faisait du casting sauvage. C’était un boulot tranquille, plutôt bien payé pour un premier poste. A chacune de ses sorties en ville, elle cherchait avec excitation la perle rare. Elle aimait lire les scénars, zoner au hasard des rues pour observer les gens avec attention (elle se piquait même de morphopsychologie, ce dont je me moquais). Elle aimait aussi aborder des inconnus dont le physique correspondait au rôle, tchatcher avec eux pour voir ce qu’ils avaient dans le ventre. Elle commençait tôt, finissait tard. Ça ne la dérangeait pas, du moment qu’on ait de quoi sortir le soir. De mon côté, mes deux mois d’été comme préparateur de commandes dans un fastfood en Bretagne m’avaient permis de mettre un peu de blé de côté, et comme mes parents me payaient entièrement le loyer du studio rue Myrha, on claquait la thune qu’il nous restait dans les bars enfumés et les clubs électro le week-end. On naviguait tranquille dans la main du marché. Comme tant de couples petits-bourgeois, on affrontait vaille que vaille les chagrins passagers et les aimables tristesses. C’est comme ça qu’au fil des mois, on a été atteints de bêtise, vous savez, l’infinie bêtise des gens qui ne se posent plus de questions, celle qui apporte même une légère ivresse avec l’âge.

Après la boîte de casting, Béatrice a cherché à devenir styliste. Elle a suivi une formation d’une année mais n’a finalement trouvé qu’un poste de chef de produit marketing dans la mode. Aujourd’hui encore, elle bosse pour une marque de fringues qui, me dit-elle avec un sourire en coin, cherche à bousculer le secteur et joue à fond la carte de la transparence. Elle sait de toute façon que je n’y connais pas grand-chose. Je m’occupe de « l’évangélisation de la clientèle », tu vois le genre… Elle a alors son rire mélodieux qui m’a toujours fait frémir. Comme lors de nos précédentes rencontres, on fait de notre mieux pour remuer le terrain laissé en friche. Qu’est-ce qui subsiste de notre très vieille histoire ? Non, elle ne s’est pas totalement volatilisée, elle est juste cachée derrière le bruit des choses. Même si elle a duré peu de temps, elle n’a pour moi rien de dérisoire. Je fais confiance au cognac pour irriguer les zones depuis longtemps desséchées et me faire retrouver quelques traces précises de notre vie d’avant.

 

Texte et vidéo : Gwen Denieul

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Un jour, une rencontre (4)

16 jeudi Mai 2019

Posted by lecuratordecontes in Marlen Sauvage

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Marlen Sauvage, Un jour une rencontre

Plantée au milieu d’une nature indomptée (semblait-il à mes yeux de citadine), la maison de Noé – dont le nom paradait sur un tronc de châtaignier à l’orée d’un couloir vert qu’éclairaient à peine les rayons du soleil de mai – la bâtisse en pierre, le mas cévenol en forme de S, me happa tout entière alors que se nouait de mon ventre à ma gorge une appréhension indéfinissable. J’avançai subjuguée à travers le pré en pente, découvrant les détails du lieu : le pigeonnier à l’extrémité de l’aile est, en partie caché par un laurier-sauce haut de quatre mètres, les canisses usées qui protégeaient un semblant de terrasse dallée de pierres de schiste, un grenadier dont le port touffu dévoilait des fleurs couleur de feu à la texture fripée telle du papier crépon (longtemps après, je découvrirai qu’on l’appelait aussi le pommier de Carthage, un clin d’œil du destin sans doute…), les rosiers jaunes, l’eucalyptus aux reflets argentés enveloppant sous ses branches les plus basses un seringat – le jasmin des poètes –, au doux parfum de fleur d’oranger. J’allais vivre ici quinze ans à la découverte de ce que j’étais profondément, baignée dans un environnement chargé de silence et de solitude, livrée aux éléments, aux orages qui claquent dans un ciel sec, aux pluies diluviennes, à la blancheur inopinée des nuits d’hiver épargnant pour un temps trop court l’habitant de tout contact avec l’extérieur, dans ce lieu où la seule injonction qui vaille reste la contemplation. S’il n’y avait pas de hasard dans cette rencontre, c’est que nous avions écumé la région durant un an pour trouver la maison de nos rêves ; s’il y avait un rendez-vous entre la maison de Noé et moi, c’est que celle-ci devait m’apprendre le détachement alors que tout mon univers affectif n’avait été jusque là que liens et dépendance.

Quinze ans… un autre jour de mai, assise dans l’herbe devant la façade, je promenais mes pensées sur chacune de ses fenêtres à l’étage et au rez-de-chaussée. Je devinais chaque pierre de fraidonite, noire sous le ciment, aux joints qui se fissuraient. Toutes les vitres reflétaient le ciel et ses nuages, passants éthérés aux contours inquiets que j’avais traqués assidûment à toutes les saisons. L’ancienne vigne vierge agrippait encore ses ventouses sur le crépi usé, l’ombre projetée de ses vrilles dessinait d’autres fioritures, arabesques mouvantes sous mon regard clignotant. Bientôt l’autre vigne, nouvelle, se hisserait sur ses rameaux, l’enroulerait de sa jeunesse, partagerait avec l’ancienne sa verdeur. Je ne la verrai pas. La fraîcheur de la terre s’infiltrait dans mon corps, le tétanisant par endroits.

A proximité poussait un mûrier noir, mordoré à l’automne avant que ses feuilles ne parsèment délicatement le sol. Le regarder me suffisait. Insensiblement, mes pensées reculaient jusqu’au mûrier de l’enfance, blanc, dont je ne me lassais pas d’enlacer le tronc noueux, de suivre délicatement les méandres de l’écorce. Les souvenirs me ramenaient au cocon que j’avais un jour tenu dans ma paume, rugueux et jaune. Entre chrysalide et papillon. Ou fil de soie ? Quelques décennies plus tard, je me questionnais sur le moment où la dernière Parque le trancherait, déjouant mon instinct de vie, mon optimisme, mes projets. Et j’identifiais enfin l’appréhension ressentie le jour de notre rencontre, que le jour était venu où je réalisai n’avoir parcouru qu’un morceau du chemin sous les auspices de la belle maison et de ses Lares familiers. Tant de bagarres, de retournements, d’acharnement, de volonté, d’hivers, d’étés, cette vie exigeante, ma vie, pour retrouver loin dans le ventre l’aiguillon de la mélancolie. Quinze ans… Ainsi elle me demandait de partir, de la quitter ; elle m’élevait à la hauteur de notre connivence. Les deux cœurs à droite gravés dans la pierre battaient dans le mien. Je répétais sans fin j’avais une maison en Cévennes. Massive comme un vaisseau.

 

Texte et photo : Marlen Sauvage

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