J’aimerais m’embarquer
dans la douceur de ce large
sans nom, sans destination

Rouleur d’éternité
nulle escale
voyager en solitaire
en prendre plein les embruns

Un ressac de présent concentré
bout au vent
fumer l’horizon jusqu’à ce point fixe
cette lueur qui pique les yeux
où convergent mes dernières forces vives

Saisir cette brèche
résister un bon coup
contre ce sel qui s’accroche à mes basques
me ronge au talon d’Achille

Abattre les voiles
me dresser face au réel
déjouer cette conspiration
les proches, les envieux, les faux-amis

Fureur contre ce siècle qui monnaye le temps
contre la houle qui fige mon sang
ma jeunesse pétrifiée
coule à pic

Dans un dernier sursaut de bon sens
je me glisse par le hublot grand ouvert
le repos du marin enfin
cette peur panique du noir, primale
sauvé par le spectacle d’un poisson-lanterne

Je sais maintenant où jeter l’ancre
sans peur
dans les bas-fonds
où les courants murmurent une dernière fois avant de définitivement se taire
c’est d’ici
que je regarderai les bateaux passer
sans jamais plus s’arrêter

Texte : Grégory Rateau