50 mots choisis par chacun des deux auteurs, puis regroupés aléatoirement par paire. De là naissent suites de poèmes et de textes autour de leurs photos venant illustrer chaque nouvel échange poétique.

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Le lundi, c’était à celui qui dénicherait un nouveau livre, un nouveau disque à raconter. Nous étions sur le muret de l’école. Déjà tes yeux et ton sourire me faisaient deviner notre amitié et les chamboulements de mon cœur.

Le directeur, M. Propre, ex-pater familias d’une petite école d’Haïti, était un dénicheur de bêtises, une tête chercheuse qui de son bureau sentait les complots se fomenter jusqu’au bout de la cour de notre collège privé du Centre-Bretagne. Mon copain Jean-René, grand fan de Lloyd Cole and the Commotions, qui m’avait fait découvrir les premiers albums d’Aztec Camera et de Fra Lippo Lippi, me rendait visite lors de la pause déjeuner. Lui était un électron libre de l’école publique, dite l’école du diable située chez les bidasses de Coëtquidan.


Un vent de liberté passait les murs du collège à chaque fois qu’il venait me voir pour faire du « trafic » de cassettes enregistrées autant que parler des Smiths, du handball et des filles du collège. On s’asseyait sur les petites marches qui menaient à la grande salle d’examens, dite la salle de torture (qui était aussi la salle où s’entreposaient anarchiquement nos sacs et cartables lors des quelques récrés journalières). Un jour de printemps trop beau pour lui, notre poisson nettoyeur qui avait constaté la visite régulière de Jean-René, se décida à venir alpaguer l’intrus pour le prier de quitter l’enceinte de l’établissement. Jean-René qui n’était pas sous l’emprise de son diktat et de ses protocoles imaginaires inventés sur-le-champ, se releva subitement et avant de s’en aller, lui rétorqua d’un ton sec et ferme : « Qu’est-ce que l’on fait de mal, hein ? Franchement, c’est ridicule, on se croirait ici dans une prison. » Pris au dépourvu, M. Propre lui lâcha à demi-mot un : « Je sais, je suis désolé. » En ce début de printemps, le verre de l’aquarium du collège, cœur sacré du sanctuaire pour algues desséchées et menu fretin craintif, avait été fêlé.

Textes/Illustration : David Jacob/Eric Tessier