Haut dans le ciel
Haut dans le ciel
un milan vole lentement
en décrivant un cercle.
En même temps que lui
à l’intérieur de moi
quelque chose décrit
lentement un cercle.
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Pour toi
Cette nuit
je placerai un vase fêlé
en porcelaine blanche
sur ton bureau
pour enlever mon âme
à ton soupir.
Cette nuit
j’enverrai une grande araignée affamée
marcher sur ton sein
pour créer l’enfer
jusque dans ton sommeil.
Cette nuit
j’enduirai de jus
d’oignon frais
tes paupières
pour que sans trêve
de tes yeux mêmes
coulent mes larmes.
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L’ibis
Même les soins assidus des villageois
ont été vains.
Les ibis du mont Niibo
dans l’île de Sado
ne sont à présent plus que six. *
L’ibis ne mange plus.
Avec obstination, il tient enfoncé son long bec
sous ses ailes, il a cessé de voler.
Jour et nuit
avec obstination, son bec ne heurte plus
que lui-même, ce néant
qu’il porte en lui.
Rage d’oiseau comme un cryptogramme.
* L’île de Sado, où naquit Takano, est le dernier habitat de l’ibis, déclaré espèce protégée en 1981 mais à présent proche de l’extinction.
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La bougie
La flamme se met à vaciller
et en partant du sommet peu à peu
consume la bougie.
Tu es la victime de l’ombre de toi-même.
Mais à présent personne
ne doit te demander, ô flamme tourmentée :
« Pourquoi montres-tu le ciel ?
Pourquoi, en le montrant encore,
brûles-tu en allant aussi bas ? »
Personne ne doit te demander
quelque chose.
C’est seulement en te faisant néant
que tu te diriges vers ton ombre.
Et moi je ne vois
que ta muette folie
et ton entêtement
mortellement vaincu.
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Essaie de tendre l’oreille
Essaie de tendre l’oreille.
À l’intérieur de chacun de nous
on entend un ruisseau murmurer,
un grincement de moulin,
ou même le cri d’une chouette inquiète et sinistre.
Mais continue de tendre l’oreille :
au plus profond de toi
tu n’entends plus rien.
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S’asseoir
Assis, assis, assis,
je demeure assis jusqu’à ce que
de moi la conscience s’éloigne.
Quand quelqu’un reste assis
tranquille
et sans bouger,
être assis ne signifie pas
se réveiller ni trouver
ni revenir, cela signifie au contraire rêver,
s’abandonner encore et aller plus loin.
En se transcendant
on va outre, on passe outre.
Être assis
c’est le grand acte d’amour
envers l’être.
Textes : Kikuo Takano
Sur le projet de publication des Editions Raz et le soutien des Cosaques des Frontières
En novembre 2020 les éditions RAZ vont publier le livre Haut dans le ciel du poète Kikuo Takano (1927-2006).
La publication de cet immense poète japonais sera la première en France après avoir déjà été publié en Italie en 2003 chez le prestigieux éditeur Mondadori où il reçut le prix Attilio Bertolucci pour l’ensemble de son oeuvre poétique.
En dépit de l’extrême simplicité stylistique et formelle de ses poèmes, Kikuo Takano est un poète d’une grande complexité: on part de la fleur, du papillon, du mouvement circulaire qui, chaque jour, presque par inertie, fait naître et mourir le soleil sans se rendre compte que nous avons parcouru un long chemin, au point de remettre en question l’origine de l’univers, le sens de l’amour, l’existence de Dieu.
Nous ne pouvons être que reconnaissant à Philémon Le Guyader et les éditions RAZ de nous faire découvrir Kikuo Takano avec ce livre Haut dans le ciel (traductions de Philippe Démeron) qui regroupe des extraits de plusieurs recueils, des poésies inédites ainsi qu’une préface de Paolo Lagazzi.
Les éditions RAZ sont une structure qui publie des auteurs de qualités bien souvent encore trop méconnus en France, je vous encourage à la découvrir et commander les livres de son catalogue.
Julie Johansson
Lien vers les Editions Raz : https://razeditions.jimdofree.com/
Lien vers le projet de publication : https://razeditions.jimdofree.com/catalogue/collection-raz/kikuo-takano/
Au fil des mots
en cette fin d’hiver
l’eau fraîche
de vos vers
apaise
ma soif de beauté
Merci
l’impression de lire un frère
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