
La vie les laboure, à coups de tâches à la chaîne. Exploite leurs habiletés. Toujours plus, encore et encore. Et elles aiment ça, tant que ça les rend libres, que ça les éloigne de la ferme, des obligations, de l’inconfort crasse qui y règne et qui fait loi. La vie les prend, les jette dans les bras de leurs hommes, les cravache pour avancer, pour produire, pour gagner. Et elles ne disent rien, elles ne savent pas comment être autrement. Ces femmes de magazines, ce ne sont pas des sœurs, même pas des humaines, ce sont des cartes, des images que les hommes regardent sans y croire, eux non plus. Elles s’en fichent bien. C’est pas près de se balader dans le coin. Pas de quoi être jalouses.
La vie les use et l’amour encore, qui ne fait pas de fruits. Alors elles prennent leur revanche, lentement, jour après jour, sournoisement. Elles se payent la gueule de la vie en lui chouravant des plaisirs là où elles n’allaient pas les chercher avant. Festins, alcools.
Les matrones sont laides. Elles le savent bien ; c’est ce qu’elles ont voulu. Devenir des femmes monstres qui renvoient à la face des gens heureux des hontes, des dégoûts et puis cette culpabilité aussi qu’il y a à avoir mieux quand elles manquent. Les matrones sont des gâche-bonheur. Elles fouillent dans les regards, jusqu’à ce qu’elles puissent enfin y lire ces choses affreuses qu’on pense d’elles. Et après, elles sont heureuses parce qu’elles voient bien que ces gens, si bien de leur personne, ont eux aussi des laideurs, des laideurs de pensée qui valent bien les leurs.
Elles sont des trognes malades. Leurs corps sont si larges, si vastes qu’ils contiennent tous les maux du monde, toutes les fièvres, toutes les lamentations. Qui pourrait ne pas les plaindre ? Qui oserait ne pas les prendre en pitié ? Chaque fois que les tantes sortent, elles exhibent leur santé comme des armures, comme des gilets de sauvetage. Elles surnagent comme de lourdes billes dans la mare de la famille, bourrelets de flottaison à la surface des misères.
Il faudra décrocher la tendresse du mur rose
C’est un dragon qui a disparu du ciel ébroué
Ces essais de vol dans les portées de fleurs et de pollens ont dû tourner au coude des nuages, je suppose.
J’apprivoise les nouvelles tarasques de la peur
L’ancien se déshabille et le froid me reste de ces mues
Aucune étoffe neuve ne me vêtira avant longtemps
Les monstres ont été brodés au point de pierre
Et c’est un deuil de prairies et d’iris que de voir le chapiteau bleu s’éprendre des corbeaux
La vie est une antichambre dévastée
Je dégraisse le temps de mes tributs à la facilité
Maintenant j’approche des anorexies d’humanité
Le ciel est si lourd qu’on a vu des champs ployer dos et misère
Texte : Anna Jouy
Illustration : http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/arts/content/1905460-les-comtesses-aux-pieds-nus-de-klara-ianova
je ne suis pas sûre qu’elles se veulent laides, une petite princesse de conte se cache en elle et sanglote très bas pour ne déranger personne, elles y compris
sacré portrait en coup de poing <3
cette dernière phrase surtout… qui ne résume pas tout mais clôt provisoirement c’est peu de le dire ces peu de femmes