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Il y a des jours où je ne voudrais écrire plus que de longues descriptions, des paysages, des ciels ou alors des rêves. Des jours où vraiment les faits sont sans plus d’importance, qu’on vive, qu’on meure, qu’on gagne au loto ou qu’on perde son temps. Simplement s’asseoir dans une page et dire ici il y a des feuillages, là un début de route, devant c’est jauni déjà mais d’un gel tardif. J’aimerais me fondre dans les mots comme une poignée de pigments, tirés dans l’eau, m’étaler, me dissiper et me taire avec tout ce qui est déjà peint. Ces jours-là, je me dis que je n’aime plus les histoires. Peut-être parce qu’il faut les tuer, peut-être parce que ça doit commencer et finir et que ça c’est vraiment trop banal en soi. Le début, la fin…

Tandis que le pays, ça dépasse l’entendement !

Je ne voudrais que m’insérer dans les couleurs, dans les bruits, qui sait dans la chaleur. Et me dire que vous allez tout comprendre : que c’est un mauvais matin ou alors un jour meilleur parce que je dirais la pluie ou la lumière ; vous sauriez s’il y a la paix ou la guerre, des sons s‘élevant ou grinçant sous ma plume.

Vous sauriez que j’ai bien ou mal dormi à la façon dont je vous dirais les fleurs ou les épines, le vent qui claque ou la brise légère.

Vous sauriez que la vie  ne vaut rien ce matin à ce rien du pays que je vous dirais, à la brièveté des mots. Vous sauriez que j’aimerais autre chose, autre part, que j’attends toujours, à ce long passage sinueux sur une route qui franchit le pont ou à ce clocher dont j’écrirais qu’il écorche le vent à nouveau.

Vous sauriez que c’est un jour avec voisins, à la place que je leur ferais entre deux lignes ; s’ils m’agacent au contraire lorsque je vous décrirais le parfait jardinet qu’ils peignent chaque jour comme les franges d’un tapis sans voyage. Vous sauriez l’acidité de mon estomac à ces verts criards que je me mettrais à peindre, l’amertume du temps à ces descriptions minutieuses des tacons de terre battue quand plus rien ne pousse là malgré la pluie. Les friches raconteraient mon désœuvrement, les cailloux ma violence ou mon silence, les feuilles, l’agacement pernicieux du livre qui ne s’écrirait pas.

Il y a des jours où l’intérieur de la tête vous est interdit, il fait mal ou il sonne absent. Où la mémoire ne veut rien laisser paraitre, où le cœur est à son heure de pierre. Écrire alors ne sait que faire. Il se met à la fenêtre et regarde dehors. Il pense tout y est dit mille fois mieux : le pays est le gardien du vocabulaire. Écrire se tourne vers les mains, leur dit d’aller se faire voir ! ou de s’occuper à des choses distrayantes. Faites donc sans penser, laissez libre cours à vos gestes, cessez de me tenir aux basques. Faites-vous peintre, aquarelliste ou sculpteur. Improvisez au piano. Cassez du grain, battez des œufs, ou basta faites donc le ménage, tiens !

Écrire veut simplement se fondre dans le pays, épouser la matière. Je pourrais alors croire qu’il est capable de tout dire, l’étendue, la profondeur de champ, les variations infinies des couleurs, la lumière et même l’ombre qu’il y a au fond de moi.

 

 

Texte et photo : Anna Jouy