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Je me prends comme ça au milieu de la nuit. Sans filtre, animal. J’ai sommeil. Mais j’aime travailler avec la fatigue, j’en ai besoin. Tournent disques d’illusions en tête, une sorte d’euphorie tranquille où je suis debout, chez moi à conspirer. Nous sommes des machines compliquées qui pouvons aimer Bataille et les chocolats glacés. Alors qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on dit ; c’est sans importances. Je me répète et ça ne dérange personne. Je pense à cette fille dont les veines étaient des histoires d’amour à suivre, des lignes de télépathie. J’ai eu envie de les caresser, de les frôler tout d’abord en la regardant dans les yeux, à l’endormir. Paupières sur le noir. Domaine interdit. Je pense à la fille des intuitions. Elles ne se contredisent pas à la fleur de mon âme. Notre histoire sera une histoire de gestes. Notre capacité à taire, à figer l’obscur fond de nos pensées. Ne bouger plus jamais. Mais je regarde le plancher, seul chez moi désormais au lendemain, et je sais que c’est impossible. Et dur comme de la pierre de jardin, de son éclat. Elle a cessé de croire depuis bien longtemps avant de me reconnaître. Il n’y a plus de soufre. Comment vais-je maintenant. Je la revois sur fond de cuir orange de la banquette du café. Les veines. La main repliée. Nous parlons des détails. Nos obsessions. Je peine à retrouver son parfum j’ai oublié le code. Il y a une tristesse qui rode, pire que la mort. C’est vraiment fichu déchirant. Doigts défaits. Il faut que je me débranche de sa pensée à elle. Je lui parle, je la regarde, elle ose parfois sourire, et je dois faire en même temps comme si elle n’existera pas. Pourtant son nez de profil qu’elle veut que je regarde, qui découvre mes défiances. Je n’avais rien prévu aucune sécurité contre ses confidences, l’appel au secours des battements involontaires de ses cils pourtant sévères. Quand donc finira par se matérialiser une présence au lieu de ces images. Mes bras vont-ils enfin servir à quelque chose ? Il faudrait inventer une nouvelle saison.

Tout à coup, je me remue. Une idée m’a traversé. La certitude qu’ailleurs, dans son appartement, elle a pensé à tout cela aussi. Probablement sur le carrelage de sa cuisine debout. Je ne veux pas l’abandonner sur cette banquette comme elle m’enjoint à le faire. Si je pars, elle se dilue instantanément, dans le gin ou dans les miroirs, les grands miroirs qui invitent au silence. Nous sommes ensemble une manufacture de secousses, une machine à ne jamais dormir. Nous constituons ensemble le reste de la division. Elle sait que je sais qu’elle sait, c’est peut-être la seule manière de continuer. Il suffira de tenir jusqu’au quart d’heure des baisers, qui se situe habituellement aux alentours des quatre heures du matin. Me fera-t-elle un café ? Non, probablement jamais même si je passais une vie entière chez elle, enfin avec elle. Quel regret cette simple tasse à laquelle tendre la main sans un mot. Mais elle me fera des histoires, des histoires irremplaçables sous des lumières et des fatigues bien à elle et à ses coups de talons. Elle me fera la gueule, vaporisée, chimique. Avec son prénom de médication auquel elle feint de ne pas répondre par commodité passagère d’être une autre, un oiseau. Or la cage, c’est moi, c’est moi qui la trimballe d’appartement en appartement, sous les yeux affligés des trop tard, des lunes irresponsables.

 

Texte : Gabriel Franck