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pour-les-cosaques-une-harangue

Oui je vous vois, et vous devriez vous voir comme je vous vois.

Depuis le temps que je vous vois passer, je ne cesse d’en rire, en silence.

Vous vous ne me voyez plus, sauf les touristes, ou un rêveur, ou un qui attend, ou un qui a mal aux pieds et s’est arrêté un instant.

Mais je vous manquerais si je disparaissais… n’ayez crainte je ne le ferai pas, vous m’intéressez toujours, même si, dans votre variété, vous m’êtes si prévisibles.

Oui je suis là, j’ai la bouche ouverte sur des mots que n’entendez pas, j’ai un regard un peu en biais, fureteur, qui avec mes commissures et les boucles de ma barbe mettent du sourire dans ma parole.

Mon sourire en écoutant ces deux là, hommes entre deux âges, vestes matelassées de marque sur pantalon de flanelle pour l’un, celui qui a une casquette et une pointe d’accent, sur jean repassé pour l’autre, bonnet de navigateur Saint James (ou Armor-lux) et écharpe assortie, comme l’étaient avant eux ces deux en justaucorps de drap uni de belle coupe, ou en redingotes sévères, et leur dialogue où les regrets du temps passé, les refus des revendications diverses se succèdent, se chevauchent, grimpent, se superposent, débouchent sur des phrases ordurières.

Mon sourire amical à la femme surchargée de paquets, petite fille de la petite dame affairée que suivait une servante portant ses achats.

Mon sourire en regardant la bande de grands gamins, de petits hommes, déboulant du lycée, leurs bousculades et défis, plus mesurés que ceux de leurs prédécesseurs, et les airs de petits coqs que provoquent les filles qui, en votre temps, les accompagnent.

Mon sourire distrait, avec quelques petits éclats que vous ne voyez pas – la pierre est un fard solide – en dominant la vie de votre rue

un homme en pardessus ouvert sur complet et écharpe blanche, l’écharpe, bien sûr, blanche, avance à grands pas

une file de pitchouns tenant une ficelle qui relie leurs nez en l’air, leurs confidences, leurs petits rires, leur absence ou concentration, aux mains de deux adultes

quatre jeunes belles de leur fraîcheur qui rient de tout ou de rien, un peu sot et agaçant le son de leurs rires

un grand père qui parle, montre du doigt ceci ou cela et des têtes de tailles diverses levées vers lui, au risque de trébucher

ceux qui sont si habitués que je ne les vois pas plus qu’ils ne me voient

un gars et une fille avec des seaux, des chiffons, des manches télescopiques, qui vont de vitrine et vitrine

et…..

Texte et photo : Brigitte Celerier