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Tandis que le silence se brise, tout haché de résonance, tatoué incessant du cri, du bruissement, du murmure et frottement, du crissement, du chuintement, du son, du ton, de la tessiture, du râle, encore et encore ;
Tandis que la page plate du silence est donc poinçonnée sans fin de ces intrusions, comme deux mondes qui s’interpénètrent, deux contraires qui jouent à s’enfoncer des aiguilles l’un dans l’autre, un bout de mutisme dans un tissu sonore, plate couture;
Tandis qu’on ne sait plus si on efface du bruit pour faire de la musique ou si on efface du silence pour élever un chant…
je voudrais scander avec application mon poème, le fer marteler à mes tympans
qu’il ressasse pour moi comme ressasse la mer
Je songe que tout ainsi ne cesse de graver, la vie dans la mort, la mort dans la vie. Et le vide dans le plein et le plein sur le vide… avant que de disparaitre aussitôt. On ne rattrape jamais un son qui part.
Ces duos que l’on frotte les uns contre les autres et dont on attend l’étincelle, rien qu’une fouille des ongles dans les envers. Moi aussi, je suis faite de deux couches, duo de Janus, celle de l’intérieur et celle du dehors. Celle qui va, erre et court, celle qui fend l’air et le travaille, sculpte le vent de sa présence, celle qui défile, agit, et perce, et joue, et malaxe. Sans arrêt. L’air, l’atmosphère…Et rien qui reste là lisible sous les doigts.
Cette matière ne retient rien de moi pourtant elle me ride, me vieillit, me tanne et ronge. Elle, l’autre substance, m’estampille sans fin. Tout ne va-t-il que dans un sens ?
Oh ! ces gestes que je crois devoir sortir de moi, ces mouvements que je crois tracer dans l’air, ces lames dont je lacère le fluide, ces coups d’épée dans l’eau, – ce monde qui s’en remet chaque fois, comme matière molle avec ressort, son éternel retour à l’état semblable ! Cet inutile mouvement de moi dans sa direction. ..
j’aimerais n’avoir qu’à le marcher, le marcher pas à pas, et sa musique en moi pour vérifier le destin
reprendre à chaque aube un cri parfait
le redire comme je construirais la fin de l’univers
la limite le point de revenir
J’ai donc agi et ce n’est que moi qui change, ce n’est que moi qui me modifie, que moi qui m’use, me grave et me marque.
Alors mon autre face, l’intérieure, que sent-elle, que devient-t-elle si c’est depuis l’immense étendue que s’écrivent les choses et non de ma petitesse vers l’ailleurs? Est-ce que mes gestes, mes brassages d’air rédigent des rides sur l’interne visage de ma vie ? Suis-je rayée désormais de tous ces mouvements, suis-je striée, suis-je raturée, zébrée de mes gestes, des pas faits, des mains agitées, des bras ouverts et puis fermés…
j’aimerais étendre ma phrase le long du pas du talon au talon, au talon, au talon…
l’entendre ainsi qui grincerait le cuir.
voyage, tour, incessant moulin.
Que l’intérieur est donc éraflé !
Ecrit, traversé d’encre, balafré de signes, décoré, piqué, dysharmonieusement tatoué d’erreurs, de faux mouvements, des hésitations du hoquet de la vie.
Et puis plus profond encore, dans ce puits, la cathédrale des songes, dans le lac de peurs, de soucis ou de joies ineffables, d’aubes roses quand vient le bonheur ; dans cet endroit que ta main seule atteint parfois, -on ne sait jamais où se tient ce miracle-, cet endroit dont je ne connais que la vibration, le bruit, la musique au tambour du souffle, qu’est-ce que mes griffures impriment, qu’est-ce que mes graphies laissent en gage de toute respiration, mon agitation dans le monde, dans le jour, dans l’univers « liquide d’exister* ».
on me verrait plus ombre encore porter mon lac au cou,
mon écharpe lourde du carcan solitaire y aller en ânonnant la peur la fatigue la quête impossible. j’égrènerais mon poème
puisque ce n’est donc que ça vivre jusqu’à son rendez-vous.
Texte : Anna Jouy
- Le geste liquide d’exister/ recueil de G. Lalonde QC