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La femme gueule à en crever l’écran, à en brouiller le radar, les ondes hertziennes des petites misères privées, privatisées, et revomies en boucle en plein collimateur des violeurs d’enfance, qui à leur tour ensperment copieusement paupières comme boyaux.

Les prises d’air se font rares. À l’évidence, elle suffoque, patauge, s’ébroue, se couvrant de la honte la plus abjecte qu’il m’ait été donné d’entrevoir les yeux fermés.

Elle s’empêtre dans la semence aqueuse des temps pervers, qui jadis, encore aujourd’hui, écoeurent, et continueront d’écoeurer. Corbeaux comme charognards n’émettent plus que de subtils gémissements. Le cri résonne, dissonant à un point tel que l’animalité se terre, renonce, et prend son trou.

L’on pourrait dire, en toute candeur, qu’elle pleure des cordes. Les sels se répandent de leur lenteur répugnante à travers les jours et les images périmées, formant l’auréole d’une Madeleine digne de nos plus célèbres internées.

 

À travers l’unique carreau, que lors d’une crise de rage, elle avait accidentellement laissé vif et intact, un bouc broute sereinement sur les terres brûlées. Dans un fol espoir, elle y avait foutu le feu sur toute surface que la couronne de sels dont elle s’était piteusement recouverte lui permettait d’entrevoir. Sperme, corps et paysage confondus. Or, contre toute attente, les cordes ont tenu et ses beaux épis d’or ont cramé.

Un malheur providentiel lui a permis de conserver la vue.

 

Il semble qu’une fois empêtré dans les quelques remugles qui animent désormais le cirque médiatique contemporain, le désordre de tous les sens ne soit plus forcément le remède indiqué. Or, le foutoir dans lequel il faudrait s’investir avec ardeur pour en arriver à l’aveuglement dûment réclamé n’est pas tâche aisée.

Malgré le martèlement que je lui fis subir avec force passion, le téléviseur éructait des râles immondes, dignes d’un post-exotisme tout à fait grossier. J’espérais l’éjaculation précoce, mais j’ai dû me rendre à l’évidence, l’écran insultait allégrement lois de la manufacture comme lois du temps et de la gravité. L’engin devait appartenir à l’un de ces derniers modèles freudiens, qui pousse nobles intellectuels comme ramancheux de tout acabit à la dépression nerveuse et à l’arrachage de cheveux.

 

J’ai alors fait la seule chose envisageable. Je veux dire par là, envisageable de mon unique point de vue personnel, il va sans dire. De celui de la lentille crasseuse des moi solitaires condamnés à patauger en plein immondice de désastre humain. Après constat et sans conclusion, j’ai donc rendu tripes et boyaux, et je suis sortie prendre l’air. Le vent frais matinal saturé des cendres acariâtres de nos ancêtres me ferait le plus grand bien.

Entre quelques pénibles inhalations d’Histoire qui rythmaient mon parcours dans l’absence, j’entraperçus le bouc qui traînait encore, désoeuvré et assourdi. Au hasard du récit et de la morale bien-pensante, je n’ai donc pas hésité, et l’ai écorné. Par acquit de conscience, je l’ai achevé à coup de marteau pour ensuite le laisser à lui-même, mort et bienheureux.

 

De retour aux quelques débris qui faisaient office de calvaire ménager, j’ai procédé à l’épandage d’un ramassis d’ordures paysagères sur la tête de l’éplorée, espérant par là couvrir les amas de sels qui l’ornaient et qui, de jour en jour, menaçaient de me soulever âme comme estomac.

Après quelques tentatives de greffes, qui l’on s’en doute, ne se sont pas faites sans heurts, la pauvre femme s’est trouvée affublée d’une paire de cornes qui meublaient son vide intérieur à merveille.

Je dois bien avouer, un peu à contrecoeur, qu’elle a dû dévorer les quelques restes de quincaillerie freudienne qui ornaient sa bicoque avant d’émettre quelque rapport digne d’une saine digestion.

 

Par la suite, elle n’a plus jamais reparlé de télévision.

 

Note de l’auteure:

Au seizième siècle, la corne de bouc macérée dans l’alcool était réputée comme remède contre l’impuissance dont étaient affligées certaines virilités vieillissantes. Or, vous savez tout comme moi, que l’on ne s’émeut guère plus devant les Madeleine braillant et écumant, sous leurs couronnes désuètes et écorchées. Le marché des drames est aujourd’hui en pleine ébullition, il nous faut savoir s’adapter. À ce titre, la corne de bouc me semble un produit empli de promesses, qui contribuerait à la fois à la croissance de l’économie et au soulagement de l’hystérie mystérieuse dont semblent affligées de nombreuses femmes et, par la même occasion, à réduire la pression quotidienne infligée aux tympans de leurs contemporains. Nous aurions donc tout avantage à tirer quelques leçons de l’Histoire, à se défaire de nos téléviseurs, et à redécouvrir tout le potentiel de cette ressource gratuite et entièrement naturelle.

 

Texte : Marie-Pier Daveluy