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ce serait 37 débarouler

Ce serait être dure, ferme, concentrée

Ce serait être une roche

Non, ce serait être un caillou, une petite pierre, un débris de roche

Ce serait être un débris de roche bien têtu qui s’ennuierait dans une carrière, à côté, juste à côté des pierres bien taillées

Ce serait les trouver belles, mais bien sages, ennuyeuses en vérité

Ce serait être toute fière d’être si petite, mais si baroque

Mais ce serait se taire, bien entendu, et rester là, les regardant, les enviant quand des bras, des chariots les emportaient

Ce serait se concentrer sur son désir tant que le génie protecteur des petites pierres en viendrait à se débrouiller

Ce serait, on ne sait comment – les hommes sont maladroits – une petite pierre devenue voyageuse clandestine sur les planches d’un chariot

Ce serait un chantier, les belles pierres hissées par des palans jusqu’au sommet d’une belle et noble construction

Mais ce serait la petite pierre regardant le ciel avec grand désir

Ce serait le génie protecteur soupirant, agacé, et la glissant dans la grande poche d’un maçon, ou d’un aide, enfin d’un homme rudement distrait.

Ce serait, on ne sait comment – il ne faut jamais chercher à tout savoir, et puis il faut à une noble édifice des petits défauts – la petite pierre tout là-haut.

Tout là-haut, sur une petite terrasse, bien installée sur les pierres, baignée par le ciel, le soleil, la pluie.

Ce seraient plusieurs siècles.

Ce serait l’action du temps sur les belles pierres, leur délitement, leur érosion

Ce serait un jour, en des temps devenus bruyants, des barres de fer montant le long de la bâtisse

Ce serait la petite pierre toute contente, parce qu’à la longue, le soleil, le mistral, la pluie, les oiseaux, commençaient à la lasser.

Ce serait la petite pierre s’amusant en regardant, curieuse, la longue installation par des hommes à voix forte de tout un attirail, de voiles et puis de la bouche d’un grand serpent.

Ce serait un jour de grosses mains et, trop rapide, excitante, affolante, une chute dans l’obscurité, la petite pierre débaroulant, heurtée par d’autres petites pierres débaroulant

Ce serait la petite pierre désirant fortement être hissée de nouveau sous le ciel pour l’’enivrement d’une nouvelle chute caracolante

Mais n’y aurait plus de génie protecteur, et ce serait la petite pierre devenue partie des gravats, emportée vers sa fin.

Ce serait n’importe quoi, ça n’aurait aucun sens

Ce serait juste une vieille Brigetoun délirant un peu, s’amusant à mettre des mots sur l’envie qu’elle a eu de dégringoler depuis ce toit, puisqu’elle n’a plus l’âge des toboggans.

Texte et photo : Brigitte Celerier