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L’impatience, parfois, est difficile, se contrarie des jours passés, il faudrait forger des changements, les inventer de toutes pièces, et ne pas s’épuiser aux habitudes mornes, il faudrait les contraindre, il faudrait pouvoir
exulter
exulter ou délirer, qu’importe ?, pour ne plus souffrir de ce défilé des jours lents, projets informes. Qu’ils adoucissent un jour, qu’un jour seulement ils adoucissent notre peine, qu’ils étanchent notre soif, et que l’impatience fiévreuse ainsi se fixe, nous les détesterons de l’illusion détruite : morne réveil où les défaites se rassemblent, et nous guettent. Ne reste plus alors qu’un défilé continu de nos jours. Mieux vaut, suivant son cours, se laisser emporter, entraîner jusqu’aux confins de l’oubli brumeux, car continuer d’être serait peut-être au-delà de nos forces si nous devions nous souvenir qu’il s’offre à nous une échappée. La nuit s’avance et le crépuscule tremblé s’exhale en senteurs, les ombres s’allongent, grises devenues bleues, plus ténébreuses encore et nous nous laissons les disjoindre, les rejoindre, les refondre, les confondre selon toute pure fantaisie et grâce obscure.
Qu’il ne reste qu’un peu de lumière et nous la nourrissons intensément des fictions les plus éperdues.
Mais tout cela ne fera rien, ne pourra rien, l’aube pâle et ses réveils infixés se sont éloignés, le jour est là, défavorable, dévorant les illusions, elles tombent et se laissent rabattre sur le sol, et les abandons vont recommencer, les abandons, les renoncements, et tout au loin l’affaiblissement. Aussi faut-il ne rien laisser se perdre dans la mémoire : elle s’estompe. Jusqu’à ce que les jours, étant passés …
Comment ne pas se plaire à l’appel obscur de la terre froide, brumeuse, frappée sans cesse des flots gris, espace ouvert à la brume et aux vents, où toute force inutile viendrait se perdre, où les lagunes conduisent vers un tableau de blondeur, seul soleil ici bas, combat d’un saint chevalier à l’instant du triomphe précis, instant suspendu du doute et de la certitude, pays de terre blanchie et d’effroi laissé par les spectres.
Les assassinés cherchent vengeance et repos, savourant leur quête infinie avant les pâleurs du jour et le réveil des vivants aux chairs vaguement opaques, futurs assassinés. Ou assassins, car il en faut.
Ne se pourrait-il donc que les jours passent, sans que jamais ne se rencontrent ces êtres à la chair trop commune, que en eux transperce l’éclat de leur pâleur future, d’assassinés ou d’assassins, car il en faut … Quand enfin, brume et nuages mêlés, les pâleurs se fondent au paysage, de spectres, de vapeurs, les flots oublient les terres qu’ils bordent et se livrent à l’immensité houleuse et répétée. Les contours, les silhouettes recherchent vaguement une précision qu’ils ont connue, qu’ils ont perdue. Puis il se s’en vont et se perdent au paysage nébuleux, avec délices, certainement.
Alors il n’est plus rien à espérer : que les destins s’accomplissent.
Vengeances et trahisons, absolutions peut-être, il suffit de promener une silhouette sombre, manteau enveloppé de brumes dans les replis duquel un souffle ira se perdre, de se glisser le long d’un mur, vestige du temps jadis qu’une trahison sut abattre. Il règne ici le souvenir d’un temps avide d’espoirs déçus, comme il se doit, ce qui est une torture délicate. Que cette même silhouette aille se perdre entre des tours ouvertes aux vents, des escaliers tortueux, qui ne mènent qu’au vide, à rien d’autre qu’au vide, et sauront bien le rejoindre, là où les portes sont arrachées, les fenêtres rompues. Qu’il respecte un silence, un geste de vengeance impossible, mais dont le souvenir se montre tenace.
Il se pourrait qu’alors soit donnée une conscience très précise, aiguisée intolérablement, du point mouvant et fixe où elle ne peut que souffrir et se réjouir sans fin.
Texte et photo : Isabelle Pariente-Butterlin
Ce manteau de sable
qui s’éparpille
et se recompose
au gré du vague-à-l’âme