Étiquettes
Si je referme la pochette dans laquelle je conserve les feuillets, il ne me reste, du texte, que cette seule image : Hamlet s’avance, et ne s’avance pas.
Je ne sais pas d’où m’est venue cette phrase, alors que le spectacle se déroulait dans la nuit d’été. Si j’y réfléchis, il est évident qu’elle ne correspond pas à une description de ce qui est, de ce qui fut. Hamlet s’avance et ne s’avance pas. Pourtant il s’avançait, jusques aux bords de la scène, et ne s’avançait pas, il ne sortait pas de ce monde de ténèbres qui peu à peu en venait à le dévorer.
En sorte que je ne parviens pas à démêler s’il s’agit là d’une image qui peu à peu s’est déposée dans les phrases, ou que les phrases ont cristallisée, peut-être, dans des strates de langage, ou encore si cette image est un souvenir réel de ce qui fut : réel.
Je me souviens de cette impression, contradictoire et intrigante, qui ne m’a pas quitté depuis. Intrigante et contradictoire. Intrigante parce que contradictoire.
Quelque chose des êtres s’avance jusqu’au bord de ce qu’ils peuvent être, de ce qu’ils sont amenés à être, et là, ils se penchent, ils regardent, ils se penchent et regardent, et interrogent le vide, qui est le vide en eux. Ou bien ils interrogent la nuit qui est leur nuit intérieure.
Ou bien ils se heurtent. À des contradictions. Il m’a toujours semblé que ce genre de chocs était violent. Particulièrement violent.
Hamlet s’avance et ne s’avance pas. Il y a ce – à quoi il pense, ce – qu’il a entendu dire, ce – qui est venu le heurter, qu’il devine, qu’il dessine dans les masses informes du réel et de la nuit, il y a tout ce qui bruisse autour de lui et dans son esprit, et en quoi il cherche, tente, esquisse des chemins possibles. Qui se terminent tous de la même manière. Sans que même il commence à esquisser un mouvement. Jusqu’au moment où. Alors il. Même si l’instant d’avant encore cela semblait impossible.
Au moment où. Alors il. Même si tout semblait impossible l’instant d’auparavant.
Je l’ai regardé se débattre dans ses contradictions. Aussi longtemps que dura le moment où il ne. Moi comme les autres. Ni plus ni moins. Il me semble que les spectateurs parfois accomplissent, des êtres qui se débattent devant eux, les regardant, des dissections immobiles. Et qui, pour être immobiles, n’en sont pas moins sanglantes : d’où il ressortit cette conclusion, que Hamlet s’avance et ne s’avance pas. Et nous, immobiles et incrédules, le regardons. Se débattre. S’avancer et ne pas s’avancer. Immobile.
Dissection immobile et incrédule. De lui par nous.
Il s’avance aux limites qu’il lui demeure possible d’atteindre. Et ne fait pas un pas de plus. Et chaque pas de plus qu’il tente de faire le heurte à ce qu’il ne peut pas affronter. Jusqu’au moment où cela le mène. Là où. Jusqu’à ce point. Où le langage hésite. Où seul il va. Dissection immobile à laquelle il échappe, presque.
Je ne comprends pas comment, après, on s’en retourne au monde, comment on s’en revient au monde réel, je ne sais pas du tout comment faire, je sais qu’il existe, comme une masse sombre et opaque dans laquelle nous aussi. Avançons et n’avançons pas.
Texte et image : Isabelle Pariente-Butterlin
oui comment revenir quand on a heurté, pénétré un peu l’essentiel….
mais on revient, fêlé un peu.. et puis malheureusement pour vivre on se recolle et ça ne se voit pas, on oublie même parfois soi même la fêlure
@ IPB : Hamlet est sans doute proche du silence.