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Norman Islander

Quelques semaines après mon arrivée, je dois effectuer un boulot d’un mois au Delta. J’y vais en avion par Norman Islander, un petit bimoteur avec des ailes énormes, conçu pour atterrir par vent fort sur des petites pistes aux îles rocheuses des Shetlands. Capacité: sept passagers et leurs bagages.

L’aviateur anglais d’aujourd’hui est connu chez ses clients/passagers sous le nom ‘Le Tripoteur’. Chemise bien blanchie, épaulettes noires avec trois bandes d’or, shorts coloniaux avec pli rasoir, chaussettes blanches à genou. Dans le passé, il a conduit des grands 747 de la British Airways, donc ce petit avion n’est pas à sa hauteur. Pour compenser, il fait tout selon les instructions. Avant de démarrer les moteurs, il se retourne dans son fauteuil (il n’y a pas de paroi), nous regarde dans les yeux et demande dans un Anglais affecté Oxford, donc avec ‘pomme de terre chaude en bouche’ : “Good morning gentlemen, have you all flown this aircraft before?”. “Bonjour, messieurs, avez-vous tous déjà volé par ce mode de transport aérien?”. Je garde la bouche bien fermée. On m’a averti. Si j’avais répondu, il nous aurait guidés à travers tout le manuel, avec un détail que nous aurait fort bousculé.

Pendant le vol, il est continuellement occupé à l’ajustement fin du régime des moteurs, prenant tours à gauche et à droite. Le bruit des moteurs monte et descend, l’avion tourne légèrement à droite puis à gauche. Surtout les changements de bruit énervent. Chaque fois que nous survolons le littoral – on survole une grande courbe  de la côte –  il y a un remous énorme, la machine danse en haut et en bas par des dizaines de mètres. Le pilote est bien dans son élément. Comme s’il se trouve sur un cheval pendant un saut d’obstacles. Il peut nous montrer son expertise.

Mon voisin me raconte que le pilote favori de tous est un vieillard anglais courbé, une espèce de doux grand-père après-retraite, qui gagne quelques sous additionnels ici. Il porte toujours un pull de laine ancien, avec des carreaux bruns et jaunes et des petits boutons de vraie nacre et du cuir usé aux coudes. Comme s’il était en train de faucher sa pelouse, dimanche matin, comme le font les Anglais. Pas d’épaulettes. Pas de mots. Il porte l’avion sans délai à l’altitude de croisière, le met en horizontal et sur pilote automatique, se verse un café d’une vieille bouteille thermos, pose la bouteille sur le dashboard et commence à manger des sandwichs. “Ce sont les vrais bons pilotes,” me fait remarquer mon voisin, “on a le sentiment qu’ils savent ce qu’ils font.”

À basse altitude, nous encerclons quelques fois un pré où nous allons atterrir. La piste verte est croisée par un petit chemin en asphalte et les barrières sont encore ouvertes. L’homme qui doit les fermer dort sous un arbre, probablement, car on voit un bras long et noir sortant d’une fenêtre ouverte, qui frappe avec autorité un tonneau d’acier en rouge et blanc avant la fermeture. Succès presque instantané. Le Tripoteur nous dépose gentiment à terre. Je suis au Delta.

Texte: Jan Doets