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carcassonne1209

Nous avions laissé les Croisés dans Béziers incendiée, pillée et ses milliers de morts abandonnés dans les rues à leur putréfaction. Jordi avait écouté ce récit avec attention et en avait conservé un goût amer. Comme si son camp, celui des catholiques, en répandant le sang, avaient trahi une parole.

A Carcassonne, en ce début d’été 1209, Raymond-Roger Trencavel prépare sa défense. Il a quitté Béziers, dont il est également le vicomte, avant le massacre.  Dans sa terre d’Aude, il fourbit ses armes. Les murs de la Cité dominant le fleuve sont solides. Ils offrent à Trencavel le moyen de tenir tête à l’armée qui s’avance. Les Croisés n’ont pas d’autre solution que d’installer le siège sous les cinquante-deux tours de la forteresse et de prendre patience. On s’escarmouche. On ne s’affronte pas.

Après Béziers, le second crime des Français sera pourtant perpétré ici, à Carcassonne, le 15 août 1209. Quelques jours avant, le roi Pierre II d’Aragon, suzerain de Trencavel, a tenté une médiation. Il est venu parlementer avec le comte de Nevers, demander grâce pour son vassal. Les chevaliers, entre eux, sont tout près de s’entendre sur les conditions acceptables d’une reddition. Mais Arnaud-Amaury, qui avait décidément tourné le dos à sa vocation ecclésiastique pour se transformer en chef de guerre, coupe court. Il veut tout. Les terres, les biens, les hérétiques, le sang des hommes. Le roi d’Aragon a échoué. Il repart, l’âme en peine, laissant son neveu Trencavel bien-aimé entre les mains de la divine providence.

Carcassonne ne sera pas prise mais ouvrira ses portes, affaiblie par le manque d’eau. La sécheresse de l’été 1209 aura raison de bien des places fortes. Dans la Cité, on meurt de faim, de soif. Les épidémies font des ravages. Les corps des soldats blessés, exposés à la rage du soleil, pourrissent. Raymond-Roger Trencavel a le sens du devoir et veut épargner son peuple : il sort de sa citadelle entouré de quelques chevaliers. Il va se donner à l’ennemi. Et là, au mépris des lois les plus élémentaires de la chevalerie médiévale, il est fait prisonnier et jeté comme un gueux dans une geôle de son propre château. Il y mourra d’épuisement et de dysenterie le 10 novembre de la même année. A l’âge de 24 ans.

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La chute de Carcassonne entraîne dès l’automne la mise au pas de tout le pays qui s’effondre presque sans résistance. Castelnaudary, Fanjeaux, Montréal, Limoux, Albi, Castres et autres villes ou châteaux rendent les armes tour à tour. Les seigneurs de la région sont, comme promis par le Pape, dépossédés de leurs fiefs. Ils deviennent des faidits condamnés à l’errance et à l’exil. Mise en appétit par ses conquêtes, jamais rassasiée, assoiffée de sang et de richesses, l’armée française ne s’arrête pas en si bon chemin.

Un homme, au pied des remparts de Carcassonne, a pris le pouvoir. Ou plus exactement, on le lui a accordé par défaut. Au moment d’attribuer la vicomté de Carcassonne et Béziers, ravie à Trencavel par les moyens déloyaux que l’on sait, Arnaud-Amaury se heurte au refus de la plupart des barons français. Ils désapprouvent le sort qui a été réservé au jeune vicomte. Ils sentent que, malgré leurs victoires successives, ce pays d’Oc leur restera hostile. Ils sont loin de leurs terres, de leurs familles, ne parlent pas la même langue, ne croient pas au même dieu. Bref, les parois escarpées du Minervois et des Corbières vers lesquelles ils redoutent de s’avancer ne les inspirent pas plus que cela. Ils n’ont que faire de biens qu’ils auront toutes les peines du monde à administrer pacifiquement. Cette terre n’est pas la leur. Leur quarantaine (service de quarante jours obligatoire pour les Croisés) terminée, leur devoir accompli, ils n’aspirent qu’à une chose : rentrer chez eux.

Simon de Montfort a moins d’états d’âme. Il est pourtant bien pourvu. Seigneur de Montfort et d’Epernay, il avait pris en épousailles la fille du seigneur de Montmorency et avait hérité du comté de Leicester en Angleterre. Carcassonne, Béziers, bientôt Toulouse l’intéressent. Il accepte le don qui lui est fait par l’Eglise de tous les fiefs conquis. Par ambition ? Sans doute. Le Pape en personne un jour le lui reprochera. En attendant, il s’installe en Languedoc. Exerce ses prérogatives. L’hiver empêche les mouvements de troupes. L’heure n’est plus au combat. Il fait attendre le retour des beaux jours pour de nouvelles conquêtes.

Qu’adviendra-t-il au printemps 1210… Jordi l’entendra bientôt, de la bouche même de l’homme avec qui il cheminait maintenant.

Texte : Serge Bonnery
Légendes images d’illustration :
En couleur – Miniature représentant la reddition des Carcassonnais après le siège de la Cité, 1209.
En noir et blanc – Dans la basilique Saint-Nazaire et Saint-Celse située à l’intérieur des remparts, est conservée une pierre sculptée dite «pierre du siège» réputée représenter le siège de la Cité de Carcassonne par les Croisés en 1209.