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Si un roman j’écrivais, Pluie se jeta dans mes bras aurait ouvert l’épisode, le lecteur aurait souri, ma plume aurait rebondi vers d’autres aventures et le sourire du lecteur disparu, on aurait tous suspendu le souffle à côté du sourire du chat du Cheshire. Mais non.
Pluie ne se jeta pas dans mes bras. Blottie dans ceux de son père, elle me regardait avec une bienveillance amusée. Creuseur, lui, savait déjà la colère au bord de mes lèvres. J’allais exploser. Ils étaient là tous les deux à l’extérieur. Car oui, nous étions à l’air libre. Barbare avait trouvé une ouverture étroite, et nous étions sortis. Mais ce n’était plus l’étendue de glace à laquelle nous étions habitués. C’était de la glaise, détrempée collante et spongieuse, qui s’attachait à la semelle de nos bottes, ralentissant tout déplacement.
L’accumulation des adjectifs avait étouffé la rage bouillonnant en moi et je me contentai de lui dire froidement : « Ainsi, tu n’es pas mort. Tu as trouvé ce que tu cherchais ?
– Je ne veux pas attiser ta colère, pourtant je ne te répondrai pas tout de suite, me répondit-il puis se tournant vers l’Arpenteur et Barbare : tu mesures toujours la distance qui te sépare des rêves et des étoiles, l’Arpenteur ? Quant à toi mon vieux Barbare, tu as bonne mine. Pourtant, tu reviens de loin, me semble-t-il…
– Tu l’as dit ! répondit-il d’abord avec bonhomie avant de reprendre soupçonneux, mais comment le sais-tu ? Où sommes-nous ? Qu’est-ce que c’est que ce bâtiment ? Est-ce à toi que nous devons d’y être emprisonnés ? Comment as-tu atterri ici, Creuseur ?
– Tout doux, tout doux. Le temps des explications viendra, je vous le promets. Mais pour l’instant, il vous faut urgemment rejoindre le groupe, vous êtes encore en danger.
– Vous, dis-tu ? Tu ne te considères plus des nôtres ? Dans quel clan es-tu ? Et Pluie ? m’énervai-je.
– Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te soustraire ta fille. Tu as raison, c’est toujours l’éternel conflit clanique qui est en jeu dans cette histoire. J’étais un grand-nommé, et si je vous ai quittés, c’est parce que…
Le Creuseur n’eut pas le temps de finir, le filet s’abattit sur ses paroles en même temps que retentissaient des cris de joie sauvages et terrifiants. Dans les mailles du filet, comme des poissons, incapables de réagir, nous étions ! Autour de nous, des adolescents au visage peint en rouge sang, brandissaient lances, bâtons et armes rudimentaires. Des Rougeoyants nous étions les proies !
Heureusement Barbare ne se séparait jamais de son suisse. Une lame jaillit, trancha les cordes, tandis que l’Arpenteur jetait de la poudre stellaire aux yeux de nos prédateurs. Aveuglés quelques instants, ces derniers titubaient, en se frottant les yeux. Ayant gagné de précieuses minutes, nous en perdions d’autres à soulever les pieds de cette boue grisâtre. Et cependant de nous hâter d’emboîter le pas du Creuseur – Pluie dans ses bras. Mais nos poursuivants nous rattraperaient bientôt. Nous entendions encore leurs hurlements et onomatopées de rage et d’impuissance.
Creuseur bifurqua sur la droite, empruntant un sentier escarpé. Après avoir gravi une centaine de mètres, nous nous retrouvâmes sur une sorte de plateau au milieu duquel se dressait un arbre de glaise. Creuseur déposa Pluie, s’agenouilla et fureta dans les racines. Soudain, il s’immobilisa, actionna un mécanisme qui eut pour effet d’ouvrir une porte dans l’arbre. Derrière cette porte, un toboggan, une glissade qui ne semblait jamais devoir finir…
Temps d’inachever le récit, il est. Temps de retirer la glaise de nos bottes. Temps de nous laver de nos émotions fortes et géantes. Temps de retrouver le groupe, et de nous retrouver entiers. Temps de nous abreuver et de nous nourrir – la bonne odeur d’oignons grillés et de gingembre me chatouille le nez – se peut-il qu’un nez rêve ? Pas temps de nourrir le récit, vous dis-je. Pas temps de traquer les incohérences – et nombreuses elles jouent à cache-mouton-sous-le-tapis. Pas le temps d’expliquer. Temps de la joie. Temps de la danse de la fête – Joueur fait vibrer le bol de hang, les pieds de Lautreje et Tisseuse martèlent le sol, chacun a trouvé ustensile à percussions. Sur le vieux tempo du bien-être retrouvé dansent de nouveaux temps. Temps d’inachever le récit, vous dis-je.
(à suivre)
Texte : Christine Zottele
Christine vous n’écrivez peut être pas un roman, mais vous savez rudement bien mener un récit !
et nous nous suivons près à nous laisser surprendre
merci, Brigitte, venant de vous, le compliment me va droit au coeur…