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Au début du XIIe siècle, sur les terres du pays d’Oc qu’arpentait Jordi en quête de savoir, les cathares ignoraient le nom sous lequel leur mémoire et leur doctrine sont parvenues jusqu’à nous. Ils le doivent à leurs juges inquisiteurs qui les nomment tels dans leurs écrits pourfendeurs. Le terme avait aussi été employé au milieu du XIIe siècle par un chanoine de Bonn, en Allemagne, pour désigner, déjà, des religieux plongés dans l’hérésie.

En ce pays qui aujourd’hui porte leur nom, les cathares, au temps de leur splendeur, étaient surtout connus comme Bons Hommes, Bons Chrétiens. On les nommait aussi Tisserands, du métier dont beaucoup tiraient les maigres revenus nécessaires à leur subsistance. A leurs adversaires catholiques, ils doivent encore les sobriquets de Bougres (rappelant l’origine bulgare des bogomiles), d’Albigeois (du nom de la région où l’hérésie se développe), de Patarins (hérétiques dualistes d’Italie).

Dans sa Chanson de la Croisade, le chroniqueur Guillaume de Tudèle, favorable aux Croisés, n’y va pas par quatre chemins : pour lui, alors que le sort des hérétiques se scelle sous la torture et sur les bûchers, les cathares occitans ne sont que des « balourds », « merdeux », « vauriens », « ramassis de fous », « pue-de-la-gueule », « pourris mal croyants », leurs femmes de « belles putes », tous confondus en « charognes » qui « puent insupportablement » et autres noms d’oiseaux, lesquels en disent long sur le fossé qui séparait alors la toute puissante Eglise romaine de ses branches rebelles. Il fut décidé qu’elles devaient être coupées. Celle des cathares, qui fleurit en pays d’Oc sur un terreau de tolérance et de partage, le fut radicalement, sauvagement et définitivement. On alla, ici, jusqu’à déterrer des morts pour les porter au feu purificateur. Déjà…

Mais quelles idées ces cathares pouvaient bien porter pour déchaîner autant de haine et de violence ? Les Bons Chrétiens, ne croyaient pas au même dieu que leurs détracteurs catholiques. Dualistes, leur doctrine reposait sur deux principes opposés : le Mal, créateur du monde matériel dans lequel nous vivons, et le Bien qui constituait à leurs yeux le vrai royaume de Dieu. « Je ne suis pas de ce monde », avait dit Jésus. Pour les cathares, c’était là parole d’évangile.

Les plus savants appuyaient leur argumentaire sur un verset du prologue de l’Evangile de Jean, objet de grandes controverses. Selon les catholiques, le texte (en latin) dit : « Toutes choses ont été faites par Lui, et sans Lui rien n’a été fait » (Jean, I, 3). C’est la preuve irréfutable que le monde est l’œuvre de Dieu puisque rien n’a été créé sans lui. Les cathares contestent cette interprétation. De leur point de vue, il faut lire : « Toutes choses ont été faites par Lui et sans Lui a été fait le Rien », le mot rien (nihil en latin, néant) prenant ici la forme substantive. Ainsi est posée la coexistence éternelle de deux principes opposés : une puissance créatrice du monde – le Mal – différente de Dieu, associé, lui, au seul principe du Bien.

Comme il est dit dans l’Evangile : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jean, III, 5). Les cathares, voyant le Mal dans toute forme matérielle, rejetaient toute représentation humaine du Christ qui, pour eux, était d’essence immatérielle. Ils n’accordaient aucun crédit au dogme de l’Immaculée conception apparu dès le Xe siècle et reniaient jusqu’à la croix sur laquelle Jésus avait été crucifié.

Pour faire admettre ce dernier point – qui n’était pas le moins osé en ces temps où les abbayes et les églises foisonnaient de sculptures mettant en scène la vie terrestre de Jésus – les Parfaits usaient auprès de leurs fidèles d’un argument frappé au coin du bon sens : « Si l’on avait crucifié votre père », prêchaient-ils, « adoreriez-vous l’instrument de son supplice ? ».  La réponse coulait de source…

(à suivre)

Texte : Serge Bonnery
Image : manuscrit grec de l’évangile de Jean