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De visite en visite, sa condition se dégradait. La maladie osseuse que l’on avait pu diagnostiquer et qui normalement progresse lentement et peut parfois être guérie, se développait avec une rapidité inquiétante. Bientôt il dut rester allongé, il n’était guère capable de bouger, il n’avait plus l’espoir d’une guérison bien que parfois, son optimisme inné se manifestait. Mais il savait mieux.
Pendant ces mois, il pensa beaucoup à son pays. La fin de la Guerre approchait. Mais les avancées des armées de l’est l’opprimaient plutôt, la pensée d’une libération le remplissant de soucis plus que de joie. L’obsession dont nous avions discuté à Londres dominait chaque conversation.
“Vous ne connaissez pas les Russes !”, c’était les mots avec lesquels il terminait chaque considération. Ils restent gravés dans ma mémoire.
Pendant l’une de nos dernières conversations – c’était l’hiver et les lumières étaient déjà allumées – mon regard tomba sur sa main droite qui resta sur la couverture, impuissante, guère capable de bouger. Il suivit mon regard et, en devinant mes pensées, il dit: “Vous regardez ma bague. Voilà, je la porte encore, bien qu’elle me soit devenue un peu trop large. Peut-être m’aidera-t- elle encore une fois, peut-être pas !
De nouveau, je me suis souvenu de notre conversation du soir sur la côte basque et je laissai partir : “et pourquoi vous ne mettriez pas la bague de côté, pendant quelque temps…”.
Il réfléchit un peu et dit: “je comprends ce que vous voulez dire. Si Soboljewicz avait eu, après tout, une intention malicieuse … Vous avez raison, peut-être c’est mieux de la mettre de côté pendant quelque temps.”
Il tira la bague de son doigt et la plaça, en se mouvant très péniblement, dans un tiroir de la petite table de chevet. Sa femme entra et lui demanda ce qu’il faisait, s’il cherchait quelque chose. “Peu importe, Halinka,” dit-il, avec un sourire, “c’est quelque chose entre lui et moi, tu ne comprendrais pas.” Il retomba sur les coussins et me regarda avec un regard qui voulait exprimer une complicité, mais il n’arriva qu’à exsuder l’incrédulité, sa perte de confiance en son dernier geste et en sa bonne étoile.
La lumière douce d’une petite lampe derrière sa tête n’atteignait pas le pied de son lit où je me trouvais dans l’ombre. Serait-il possible de feindre la confiance ? Sûrement, n’y comptait-il pas. La fin approchait et exigeait de la résignation et de la sérénité. Il n’avais pas besoin de mensonges bien-intentionnés.
Dembinski mourut un mois après. Un jour de janvier – il tombait une neige lente et fondue – il fut enterré au Cemitério dos Ingleses à Lisbonne, entre des cyprès noirs séculaires et des pierres tombales anciennes.
Je ne sais pas ce qu’il advint de la bague. Peut-être était-elle encore dans le tiroir, ou dans un autre. Peut-être fut-elle vendue, ou perdue.
(à suivre)
F.C. Terborgh, La bague (1954), traduction du néerlandais par Jan Doets