Debout très tôt dans l’espace limpide où stagnent les choses endormies et flottent les êtres en suspens, je rêve éveillé. Méditation idoine, lové dans les coussins, roulé dans les plaids ! J’ignore à quel moment précis de ma vie j’ai été poussé par une force obscure à tracer des graffiti étranges sur les parois de mon univers fictif. Depuis, volutes et spirales m’inspirent. J’aime aussi le hasard du trait sur le blanc granuleux du bloc, quand la plume furtive glisse et feule son froufrou de fauve. La puissance occulte du gribouillis fascinait déjà l’homme des sombres cavernes. Il cédait volontiers lui aussi à la magie de la courbe de charbon noir sur la pierre lisse. Ce n’est que plus tard qu’il eut la révélation inaugurale de l’effet pervers des représentations. Pour moi, il est clair que le geste créateur est une malédiction, mais il me fait plaisir. Dans l’instant, il n’y a rien d’autre que le silence qui coule et le stylo à encre qui avance lentement sur la surface gaufrée du papier pelure. Je vis l’écriture comme une ascèse de l’esprit et du corps. Car mon graphisme n’a rien d’approximatif, soucieux que je suis d’écrire très exactement les mots comme ils me viennent, sans me soucier ni des censeurs, ni des critiques, ni des contempteurs de l’art. Adepte de la liberté des sens, je suis le chemin vers l’horizon prometteur, les fleuves nourriciers et les cimes idéales, aspiré par le désir du beau et l’appel de l’ivresse incantatoire, au risque de me perdre dans le labyrinthe des signes… ou dans le désert de l’ennui !
Texte inédit : Jean-Jacques Brouard