Ce n’est pas un brouillard.
C’est un monde sans os, sans structures, sans béquilles
Et tu es dedans aussi mou, défait, liquéfié,
Invertébré humain de chimio.
Il y a des couleurs qui t’enserrent de partout, étouffantes glus qui veulent te pénétrer, te « vivre », s’étirer en toi comme si tu étais devenu une matière extensible intéressante, inconnue, la matière chimio.
Tu étouffes, tu te sens essoré, tordu, compressé
Dans cette substance médicamentueuse, dans laquelle tu résistes, fou de peur.

Et soudain tu sors de cet état.
Tu en sors comme d’une longue apnée. Tu reviens parmi ces choses ordinaires,
Raides, dures, structurées.
—Tu as fait un bad trip.
Les médicaments ont joué pour toi une partition Stockhausen.
Tu as peur parce que c’est un autre monde et que l’autre monde, la mort proche te le promet.
Et que ce ne sont pas les vallées de lumière chantées dans tes églises
Que c’est trop différent, trop irrespirable, barbare
Comment feras-tu pour aimer Stockhausen quand tu seras mort ?

Tu lui as donné des mots, des phrases comme des organes de toi. Il n’y a peut-être rien entendu.
Ce puits dans lequel tu as vécu jeune, cette forme du puits, sa matière terre inhumaine
Et cet œil qu’était le ciel quand tu levais la tête.
Ces mots comme le bad trip
Comme cette chimie qui œuvre sous la peau quand tu dors aujourd’hui.
Ces mots médicaments du temps, de l’esprit, du désir de vivre
D’autrefois
T’ont sauvé
Tu les lui as donnés. Il n’y a rien entendu.
Aime-t-il
Et puis, qui donc est Stockhausen

Texte/Illustrations : Anna Jouy