La soif
Ce qu’elle a accoudée auprès de la tasse de lait thé
quand le vent l’élégant sans qu’elle bouge l’acoquine.
L’étole encore rouge du brasier
a abreuvé des contrées de failles insignes
enserre sa taille.
On devine au passage
un tremblement qu’elle peine à cacher.
Ses mains courent en aveugle autour de son cou blanc.
C’est la gueule d’un lion qu’un serpent arpente.
C’est la soif. La misère. Une dernière. Une descente.
Tout son corps vaque et vogue, ses lèvres tanguent et râpent.
« Par pitié, rien qu’une goutte dans ma bouche ! »
Cette soif, elle la boirait jusqu’à la lie.
Des hic et des ex
Oh ! Vous étiez sur le boulevard d’un si chic
en comédien de troisième classe vêtu de latex.
Mon coeur a tremblé, vous tendait son cache-sexe.
Mourir un peu pour vous eut été volcanique.
Dans le reflet se mouvait votre admirable parastique.
J’ai osé les cliques, les claques, perplexe,
frappé des mains, pleuré un peu, reflex.
Et vous dansiez les pieds liés sur un air de pataphysique.
Votre corps près du mien extatique m’a frôlée.
Vos mains souples et frayées au chemin drolatique
ont eu cet air charmant du dernier Deus Ex.
Puis, vous vous êtes effondré, en plein patatex,
ça coulait de partout, effondrement du complexe.
Mourir un peu pour vous eut été moins dramatique.
Pierrot six heures du matin
Pierrot lunaire sur la pointe des pieds passe son buste par la fenêtre
pose un doigt blanc au loin sur une terre ocre et chaude.
Sous ces yeux précoces et entre ses mains
s’étire un pistolet rose fluo
pour le côté sublime des choses.
Aux aguets, aux abris, aux abois
Pierrot attend.
Sur la corniche les pétales rouges bégonia s’esclaffent de ce spectacle :
“Il se pourrait qu’il piétine ! Pire qu’une pitié !”
Elles minaudent :
“Pierrot, Pierrot, Pierrot…”
Et le coeur de Pierrot fait des ballerines.
Et pendant qu’on le regarde, c’est sûr, quelque part un sourd dîne dans une caverne, dans une savate de chez Boccherini, dans la maison du diable, toute chair humaine pendue aux fenêtres et même au diapason. Quelque part encore des canapés se grisent, la moleskine trinque, une fois deux coups, des langues serpentent dans des failles de blessures divines, des verves s’entrechoquent sur chaque grande place à l’heure du mercato :
» Alleluïa diaspora mia ! »
Imaginez la bringue, toute braguette ouverte, ici on paye content.
Mais Pierrot attend.
“Anne ma soeur Anne ne vois-tu rien venir ?”
Anne hausse ses épaules grasses et coche le fouet, tiens le rouet, se remet au travail, tout de même plus qu’une heure, c’est pas une vie d’être une femme. “Rien rien. Je ne vois que le lavis lavasse fada”
“Anne ma soeur Anne ?” supplie Pierrot
“Je ne vois que semis chemin faisant graines dorénavant”
“Et moi, et moi et moi ?” se lamente Pierrot. Sa bouille dévitalisée ronde et pâle s’incline.
“Ils arriveront bientôt Pierrot.
Pieds fourchus ils viendront.
Prendre une écuelle et un bouton
un effet de manche et une balayette
et faire sonner le tiroir caisse.
C’est un vaurien titubique qui me l’a dit
ce matin.”
Pierrot secoue la tête las
ses pieds rentrent sous terre
son corps se heurte à la pierre.
“On ne m’y reprendra plus à sortir un samedi à l’aube”
Chimères
Sous mes pieds de terre et de paille
le voyage de Schubert me grignotait l’oreille
et les ronces étaient mûres.
Les souvenirs en veille
il neigeait à plein ciel.
Je pensais au temps de l’amour.
Où se logeaient mes rêves
aux étendues d’interstices fantômes.
Dans l’espace à l’abandon
mon corps a frôlé le vide.
J’ai trouvé logis au bord du monde.
Un ciel sans étoiles
a enfourné mes rêves dans un sac à charbon.
L’hiver a disparu comme un trou de mémoire.
J’ai frotté mes mains dans l’espoir d’un éclair.
Un papillon bleu au coeur d’un volubilis a essaimé le temps
et les veilleurs de l’ombre ont entonné le chant des esclaves.
Textes : Laëtitia Testard
Illustrations : Guillaume Le Baube
les cosaques me nourrissent et rongent mon ignorance