Une heure en ville, pas plus. C’était le maximum de temps que je passerais à Aix, ce matin-là, je l’avais décidé et décrété bien fort en mon for intérieur. Cependant, je n’avais pas tenu compte du temps pour trouver une place de parking un samedi matin – jour de marché – et de ma propension à rester plus que de raison dans les librairies. La chance m’attendait au seul parking gratuit de la ville – celui entre la piscine et le cimetière saint-Pierre. Après avoir acheté les super-écouteurs de la super-marque pour le cadeau de D., je me hâtai vers l’une des dernières librairies de la ville lorsque mon attention fut attirée par le cercle silencieux d’une cinquantaine de personnes debout. Deux d’entre elles tenaient une pancarte annonçant la couleur du silence : Notre silence est un cri. Fraternité aussi avec les étrangers (1). Un excentré tendait aux passants des flyers plus bavards et je me saisis de l’un d’entre eux. J’y jetai un œil et me plaçai dans le Cercle de silence. L’homme m’avait rassurée en me disant que l’on pouvait rester autant de temps que l’on voulait. Je m’interdis de regarder l’heure. Le cercle pouvait être aisément traversé en une vingtaine de pas mais personne ne le traversa. Stratégie du contournement pour tous les passants.

Incommodée par la vigueur de ce jeune soleil d’été, je changeai de place pour me mettre à l’ombre du platane à côté d’une porteuse de pancarte et de sourire. Je crus reconnaître quelqu’une dans le cercle à qui j’adressai un sourire. Mais l’heure n’était pas aux sourires. Un long temps passa où j’eus du mal à me concentrer sur la signification de ce geste, trop dans l’euphorie et l’excitation. Tous dans le cercle unis contre ceux qui sont dans le refus de l’autre. C’est sans un cri que tomba le premier d’entre nous. Ses voisins traînèrent son corps à l’ombre et le recouvrirent d’un tissu blanc. Un deuxième corps s’écroula à son tour, dans le silence absolu, qui rejoignit le premier, mais celui-ci fut recouvert d’une écharpe à fleurs rouges. Avant que mes imaginations délirantes ne prennent le dessus sur ma raison raisonnante – et qu’un troisième corps ne tombe –, je sortis du cercle pour me hâter vers l’une des dernières librairies de la ville.

Je trouvai rapidement Les Furtifs de Damasio pour peaufiner mon mensonge à C. – j’avais juré l’avoir déjà en ma possession pour le lire cet été — et le lui prêter derechef – ppfff, soupira mon narrateur intérieur qui m’avait foutu une paix royale jusque là… Je musardai encore un moment dans la dernière librairie de la ville – les deux autres venaient de rendre les armes le temps de cette digression avant de me rappeler le vaste programme de corrections qui m’attendait à la maison.

En passant devant le cimetière, il me prit l’impulsion d’y entrer pour chercher la tombe de Cézanne. Dans l’allée centrale, un enfant et un père en vélo arrivant en face de moi s’arrêtèrent à mon niveau. Le père me demanda si je connaissais l’emplacement de la tombe de Cézanne. Je lui répondis rapidement que j’avais eu la même idée que lui mais que non, désolée, depuis les quelque trente ans que j’habitais ici, jamais je n’avais eu l’idée de chercher la tombe de Cézanne. Chacun repartit sous le soleil de midi. Je croisai une jeune femme qui, Sorry, I don’t speak french et qui cherchait elle aussi la tombe de Cézanne. Mais ce jour-là, Cézanne avait décidé de reposer en paix à notre insu. Je furetai encore un peu dans le cimetière et tombai sur une tombe Volante – ce qui me fit sourire – le caveau de la famille Volante se trouvant juste en face d’un trou avec de la terre fraîche et rouge. Pendant ce temps-là la dernière librairie de la ville venait de s’éteindre.

[Venelles, le 11/06/2019, Christine Zottele]

Vidéo : Christine Zottele 

(1)Véritable mot d’ordre du Cercle de silence d’Aix-en-Provence qui se regroupe à la Rotonde – allées Provençales le 2e samedi de chaque mois de 11h30 à 12h.