Étiquettes
Brume, air glacé, quelqu’un respire. Un paysage devant se précise. Au pied de la colline, de l’autre côté de la rivière, une vieille femme se tient debout et l’on ne voit son visage. Sous la surface de l’eau, des serpents, si nombreux qu’ils forment des vagues sombres et presque solides. La vieille femme émiette du pain rassis et le jette à pleines poignées. Les serpents arrivent par bancs entiers et se battent pour gober les morceaux dès que ceux-ci atteignent la surface de l’eau. La rêveuse s’approche.
Soudain aux bords de la rivière, passe une autre scène par-dessus la précédente. Les deux deviennent troubles, mais elle y reconnait son père, silencieux, assis dans cette attitude absente bien familière, il est sur un de ces sièges qu’utilisent les pêcheurs, à moitié enfoncé dans la berge de la rive. Il semble regarder pensif la rivière aux serpents. Qu’observe-t-il, se demande-t-elle. Il avait tu pendant des années cet étrange fait. Son fils était mort dans un accident de voiture. Après le décès, la grand-mère de l’enfant avait omis de redonner l’argent que l’assurance lui avait versé. Le père ignorait tout des circonstances exactes de l’accident. Ou du moins le croyait-il. C’était il y a longtemps, bien longtemps, cette si vieille histoire était l’unique héritage que la famille avait reçue de la grand-mère.
La vieille femme du rêve, depuis la rive opposée, continuait d’émietter le pain, et les serpents, cette fois-ci, s’écartaient dans le cours de la rivière, frayant un chemin à la rêveuse. Elle s’avançait au milieu de ces murs d’eau transparente. Les mouvements de la marche lui parurent soudain étrangement lents, une boue lourde retenait ses pieds et les tirait vers le fond, la traversée fut longue, longue, si longue.
Cent soleils et puis cent lunes se levèrent. Elle chercha en vain une terre ferme pour accoster mais l’espace et le temps ne semblaient plus connaître les mêmes lois. Il y eut des trombes d’eau lourde, chaude, chargée d’on ne sait quelle matière, qui ne cessaient de s’abattre du ciel, et bientôt elle ne discerna plus rien, l’ambiance du lieu fut si angoissante qu’elle se mit à regretter les vieilles querelles, les secrets de polichinelle, les sous-entendus et les bien-entendus. Mais voici la terre ferme soudain sous ses pieds, avec pas à pas, l’air frais plein de ces odeurs de musc et de vanille que l’on trouve dans les îles du Pacifique. Un monde de fantômes blancs s’amassa autour d’elle. Toutes les querelles devinrent obsolètes, il n’y eut plus de conflits. Seulement chants d’oiseaux, matins nouveaux, soleils clairs sans ombre aucune, brouhahas dans l’on ne sait quelle langue. Mais quel est donc ce sentiment de joie inconnue ?
La traversée prit fin, peut-être aussi les tourments. Pourquoi alors tous ces regrets ? Et que sont ces silhouettes dont certaines semblent si familières ? Là-bas sur la colline, quelqu’un appelle. Alors qu’elle s’élance joyeuse, un rayon de soleil tombe sur son visage. Une nuit est passée.
Mille et une nuits encore… entendit-elle.
Texte : Lan Lan Huê
mille et un combats de tendresse, de peur, et de joie
passent les vies, goûtent les vies, belle journée à vous Brigitte, un arc en ciel ce matin après la nuit et sa pluie 🙂