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Elle, fille sage. Devant la glace, le miroir miroir… Entre ses doigts, la paire de ciseaux. Longs longs cheveux. Fins. Ils font sur sa tête une auréole noire et disciplinée.Sur sa face, des clous, des anneaux, des pointes. Le visage est un atelier.  Sur son cou, une écharde d’encre verte, une ronce qui serre, la coupe, là, bien nette, à la carotide. Et le sale qui encrasse ou illumine d’une graisse luisante la peau. Ses yeux majuscules mordent le verre. « Je t’aurai, je t’aurai sale petite pute…, »  elle entend.

Elle cherche. Par touffes où planter ses tenailles, où mordre de ces crans aigus dans la tignasse. Jusqu’où montera-t-elle? Se rasera-t-elle après ou lui suffira-t-il de trancher à même le col pour que tout change et la libère? Quand elle aura fait le premier geste, donner le premier coup de sagaie. Quand elle aura entendu crisser ce crin, si précieux pour sa mère.

« Belle enfant sage, laisse–moi te coiffer. Laisse-moi te natter comme le faisait ma mère. Laisse-moi prendre possession de ta force, de ta beauté, laisse- moi tourner ton chignon et te ficher ces quatre épingles au ras du cuir. Laisse-moi tirer,  te faire mal, t’entendre geindre  sous mon peigne en os.  Laisse-toi faire, sale gamine. »

Et la mère qui tire et assène, jusqu’à faire craquer le cou et gémir les épaules, éraflant le cuir des dents de la brosse.

Les grands ciseaux de couture. Ceux qui ne doivent servir qu’au tissu, dans ses mains. Ce sera de la chair morte qui tombera, des squames, de la mort belle, et lisse et indifférente qui choiera par terre, sans bruit, que ce petit étouffement de pelote sur le sol. Elle, en somme, rien d’autre, rien de plus au ras des anges. Ce sera silencieux et tranquille, une colère propre et nette.

Effacer les ans, les années d’obéissance, les exigences. Salir le modèle, le déchoir. Etre laide, enfin, être pire, être moins que rien, comme elle sait que c’est l’inavoué désir de sa mère. Elle  attend, espère les cris, les hurlements, la terrible semonce que ça produira. Elle imagine le visage grimacier  se déformer encore plus. Et puis cette course sans doute qu’il y aura pour la frapper. Et pour reprendre son autorité mais c’en sera fini.

Aujourd’hui. Elle a semé sur son visage des engins de guerre et maintenant elle prépare sa tête rebelle. Elle n’en aura plus d’autres. Que l’ébouriffure, la crinière, les plumes et les nœuds toujours. Elle sera  une effigie de violence et de sa bouche scellée maintenant de perles et d’imperdables, il ne sortira plus un pleur, plus un reproche, plus un mot. «  je t’aurai sale petite pute… »  C’est mon tour.

Dans sa main une première poignée, qu’elle visse et tord. Le regard tremble un  peu. La peur encore sans doute. La peur qui l’habite depuis tant. Mais elle ne reviendra pas en arrière. C’est trop tard. Il faut y aller, sans penser, sans raisonner, sans évaluer les risques ou les conséquences. Ce geste, c’est couper le cordon à jamais.

Les lames s’approchent. Elle baisse la tête. Inutile de voir ce qu’elles trancheront, ce qu’elle fait. Il suffit de ce simple bruit, comme une chair qui se déchire lentement sous la force des doigts.

 

Texte : Anna Jouy