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48 - première tentative

Ce serait dans une rue, face à une étroite porte-fenêtre éclairée sur une intimité, face à de grandes portes réduites à laisser passer des automobiles après les charrettes et les calèches d’antan, face à quelques fragments brillants d’objets métalliques non identifiés, face au maquillage contemporain d’un monde ancien, la présence soudaine, devant un grand miroir solennel et parmi des tentures de boutis, d’un arbre aux petits fruits métalliques, de quelques bougeoirs de cuivre plus ou moins civilisés, cadre accompagnant un groupe à la fois familier et étrange.Il y avait se tenant droits, les bras le long du corps, face à la rue, des corps d’un noir plus ou moins mat, selon la nature du bois d’où étaient issus, deux policiers ou militaires en uniformes beige sombre, une belle jeune femme en chemisier blanc, un fonctionnaire civil à la peau d’ambre sombre, et quelques personnages simplement nus.

Il y avait des êtres qui se croyaient blancs, rendus à leur vérité par le regard qui les avait fait naître, à leur peau rosâtre virant au rouge sombre sous le soleil, une silhouette qui se dissimulait, un petit charmeur en short et chemise blanche, cheveux soigneusement lissés, se permettant, lui, un geste en portant la main à son coeur, une belle fermement dressée, les mains dans les poches, sa toute petite fille en sage robe verte, et, carré dans son fauteuil, casque en tête et mains fermement posées sur ses genoux, un chef de poste.

Dans la spectatrice, arrêtée face à leur petit groupe venu d’un temps pas si ancien, tout l’imaginaire colonial est passé au galop, la faisant grimacer intérieurement, pour déboucher sur des poèmes de colère et d’amour de la terre, sur des romans joyeusement picaresques, sur Labou Tansi, Korouma et Jean Rouch, avant qu’elle reprenne son cheminement, après avoir salué dévotieusement la grande tête, dieu ou masque, qui les dominaient.

ce serait - 48 - autrefois ? - deuxième

Quelques jours plus tard les a retrouvés, mais comme tous êtres humains ils avaient bougé. Les deux petits blancs-rouges s’en étaient allés vers des demeures, comme la jeune femme au chemisier blanc, l’un des policiers s’était absenté, tous les autres s’étaient déplacés, s’étaient installés dans un espace proche de leur ancien et riche décor, sur un sol carrelé sans grand charme, devant un fouillis indistinct.

L’un des petits corps noirs s’était retourné et faisait face aux adultes, les observant, le fonctionnaire civil se mettait en marche pour une destination imprécise, et le chef de poste tentait de faire oublier son solennel fauteuil. Avaient perdu leur dieu.

Et puis, il y avait deux nouvelles présences, un élégant au buste mince, aux très longues mains aristocratiques et, sous un grand chapeau, au long visage méditatif et sage, et surtout, sur le côté, un corps allongé, abandonné, que tous évitaient soigneusement de regarder.

Et la passante, impuissante, et dans l’ignorance ou la pseudo-connaissance des forces actuellement à l’oeuvre sur leur continent et, en particulier, du drame qui venait d’avoir lieu, a poursuivi son chemin, avec un petit salut navré pour la victime.

 

Texte et photos : Brigitte Celerier