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Ce serait mes yeux qui le sélectionneraient en entrant dans la salle.
Ce serait une gourmandise, un signal éclair, le nom de Dubuffet, et un étonnement, avec le souvenir vague de terres brunes mêlé à celui de roseurs en formes plates et larges qui était des femmes, et puis des tables, mais là c’était évidemment un paysage.
Ce serait retrouver cette sensation que l’image saisie par les yeux émeut mon ventre, mes entrailles, le corps, avant de remonter jusqu’au cerveau et à son interrogation un peu distraite, rendue bienveillante par la sensualité du message qui lui parvient.
Ce serait s’approcher, lire paysage blond Sahara mai/juillet 1952
Ce serait la matière, comme née sans règle, d’elle-même… et la question bête, enfin pas tant que ça, comment c’est fait ?
Ce serait des traces de brindilles, de branches sèches, ce serait voir les minuscules cailloux sous les pieds..
Ce serait grimacer devant l’envolée de mon imagination et revenir à ce qui est là.
Ce serait à vrai dire ne pas trop chercher, me contenter de la vie gelée de cette matière, y promener les yeux, suivre les volutes irrégulières, les coulées, les creux brunis, la luisance claire de certaines surfaces… m’y perdre et puis reculer pour un ultime regard englobant, et m’éloigner avec, dernière sensation, l’espace gris beige travaillé au ras de la toile, en haut du tableau.
Ce serait chercher un peu, aujourd’hui, rétrospectivement, dans Prospectus et tous écrits suivants de Jean Dubuffet réunis par Hubert Damisch chez Gallimard, et trouver ceci, à propos des tableaux de 1951 dont celui-ci serait un prolongement, avant les «terres radieuses» de 1953, ceci qu’à tort ou à raison je rapprocherais de ce paysage
En même temps que mon mortier, lancé à coup de grosses spatules, me procurait de doter de reliefs des objets… il se prêtait par ailleurs aussi à des effets très réalistes de terrains bosselés et pierreux…
Peut-être mes séjours dans les déserts de l’Afrique blanche ont-ils fortifiés mon goût (si caractéristique de l’humeur de l’Islam) pour le très peu, le presque rien, et notamment… pour des paysages où ne se voit rien d’autre que l’informe étendues sans fin, semis de pierrailles et d’où est rejeté tout élément bien défini… C’est sûr que j’affectionne spécialement le sol.. Il me semble que la vie provoquée dans un tel tableau serait, de prendre naissance en pareil dénuement, plus émerveillante..
(Musée des beaux-arts de Lyon)
Texte : Brigitte Celerier
ce serait dans la matière même, cette étrange lumière intérieure, merci pour les mots brigitte
« me contenter de la vie gelée de cette matière.. » ***
merci pour votre gentillesse
Jubilation et magie de la matière, merci à vous.
…l’ultime regard englobant c’est la touche finale avant de le garder dans la mémoire !