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Apollinaire Blog

Baranov arrosa les plantes. C’était le petit matin du premier vendredi du mois.

Tandis qu’il regardait la bougainvillée écarlate devant sa fenêtre, il se souvint d’une femme qu’il avait connue superficiellement à Lisbonne, qui était bloquée par ses avances et s’était interrogée sur son amour cosaquien de la langue française.

Entre les feuilles, une abeille remua une fleur.

Comme les bougainvillées, il se sentait bien au chaud aux bords du désert. Il logeait temporairement dans le village, dans une petite cabane à côté de la maison d’Andreï Stepanovitch, en attente de son admission au fort Bastiani.

Baranov était plus dépaysé qu’un apatride et fut considéré par quelques villageois comme un peu trop rentre-dedans. Donc quelques cosaques dans le fort avaient dit: “avec ce Baranov on ne traverse pas la glace d’une seule nuit’, une expression bizarre au bord du désert ce que l’on attribuait  à des gènes errants en Russie. Des capitaines de vaisseau y avaient-ils laissé des traces? Le Hollandais volant apportant du sel vers la Baltique, année après année au seizième siècle, ce gaillard blond qui avait une pléthore d’amies russes parce qu’il était souvent coincé par le gel pendant les hivers durs du petit âge glaciaire, dans les ports de Riga et de Réval ?

Quand le soleil passa son bras par la fenêtre, Baranov se souvint du flâneur des deux rives et rentra dans sa cage. Il alluma encore une cigarette, et réfléchit.

‘Comment puis-je pénétrer dans cette citadelle de la langue française’, pensa-t-il, bien qu’il sache bien que chaque individu ne peut vivre que dans la maison de sa langue maternelle. ‘Cette citadelle, a-t-elle des chambres d’amis ?’

Soudainement, il retint son souffle. Des voix. Quelqu’un frappa à la porte. Il l’entre-ouvrit et fut consterné de voir quatre personnes, trois femmes et un homme, en tenue de cosaque.

“Un joli salut !” dit la femme à gauche. “Vous êtes fin et amical, avanti !” crièrent les deux autres en choeur. “Voilà une délicatesse !” dit l’homme, tout en noir, portant des lunettes noires, avec dans la main, une fleur rouge.

Baranov ferma la porte derrière lui et les accompagna vers le fort.

Texte: Jan Doets
Dédié à Brigitte Celerier, Anna Jouy, Carol Shapiro et Francis Royo
Reprise de 7 septembre 2013