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Ce rire qui s’étrangle en votre gorge. Convulsé autour des abdications, renoncements prudents, qui les étouffent, les vieillissent avant l’âge, les enserrent de regrets, visage fixe qu’on a dit mien, dont les yeux ne regardent pas, d’où aucune voix ne s’élève, ni ordre ni prière, ni espoir ni regret, ne vous y trompez pas, vous qui allez sans cesse, mourant de vos regrets, de vos renoncements, je ne veux du carcan d’aucune religion, ni ordre ni prière, visage fixe qu’on a dit mien, n’entendez-vous donc rien et serez-vous aveugles jusqu’à n’être plus rien, que tristes et oubliés ? Vous entendez un rire, un rire qui vous transperce, rire de celui qui a osé, qui demeure sans regrets et sans renoncements, soyez maudits.
Qu’il soit un lieu de calme, écarté de ces mouvements, où savourer la malédiction prononcée ; regardez-la s’abattre et vous déchiqueter – au calme, sur les hauteurs qui dominent la ville irrespirable, adoucies du consentement des pins à épouser la pente, de cette absolution. Lumière calmée, enfin. Qu’elle vous ronge et vous condamne, ici le rire se fait murmure, dialogue des philosophes et des poètes, après les peines du jour et son malheur tiède ; dialogue informe d’où vos certitudes sortent brisées, broyées. Restez en-deça des limites qu’ils enfreignent, ou bien tentez de les rejoindre mais ne renoncez pas, une fois que vous avez choisi. “Comme autant de poignards tes mots entrent dans mes oreilles”. De quelle violence usait-il, lui qui a presque renoncé, qu’aucune décision n’a encore renforcé ? Qu’il assassine, car nul n’a droit de renoncer. Ici le rire se fait murmure et le dialogue se poursuit, adouci par les siècles d’attente et de coutume, les regards ont usé les courbes et les ont façonnées, la ville est basse et ses tortures si coutumières, ce calme même est une inquiétude nouvelle. Et le rire incisif se calme peu à peu. Dialogue de qui a vu et de celui que tentent les regards, les visions aiguisées, car il ne s’agit pas d’une révélation, ce qui est vu ne se transmettra pas. Que les renoncements nous rongent et nous condamnent.
Or quel exercice nous sauvera de l’abîme: lui qui savait la valeur des sons engageait une lutte harmonique au-delà de ce que sont les notes, au-delà. Faire entendre à l’orchestre hésitant l’harmonie dont il avait le désir et le secret intact. Sans renoncer jamais à dire ce qui n’a pas de nom, à faire entendre, musiciens en errance, qui n’avaient pas encore reconnu ce son. Mais l’espérance était en eux. Il les retient, les reprend, la voix énonce calmement, dans ce sursis de silence, le chemin qu’ils auraient dû suivre. Je l’emprunte sans pouvoir le saisir. Dialogue du silence et de l’oubli. S’ils oublient, ils retourneront au silence dont ils sont nés et dont ils meurent.
Où s’instaurera-t-il ?
Il le soutient d’une main, intransigeante et fin, sans craindre les colères qu’il abattra sur eux, musiciens sans âme à qui il en donnera une, de l’harmonie la plus savante. Avez-vous cherché pour n’avoir pas trouvé l’évidence des sons, vous qui trébuchiez dans le silence ? J’entends et je vous donnerai à entendre, vous entendrez et tous applaudiront dans la lumière.
Perfidie, en vérité, car celui qui nous a conduits n’est que l’interprète, sa baguette impatiente institue les visions harmoniques. Où se lèvera la syntaxe imparfaite du dialogue ? Perfidie en vérité.
La malédiction se poursuit. Que le dialogue ne nous abreuve pas de sa cruauté et ne nous fasse à plaisir goûter l’éclatante vengeance de l’échec, ironique et latent. S’il est, le pouvoir est immense, de divulguer les savoirs oubliés. Qu’importent les descriptions, les certitudes érudites ? Il suffit de s’asseoir parmi les idoles sans regard. Et de les regarder.
Texte et photo : Isabelle Pariente-Butterlin