Pour Cosaques petit matin

C’était dans une maison que je n’ai pas retrouvée sur Google.map, moi perdue dans ce territoire chamboulé où des immeubles, déjà anciens, trônent là où, en ce temps, n’était que mer caressant la plage, où se multiplient les ports à partir de la jetée que nous avons vu construire, de ce premier terre-plein dont les plus jeunes exploraient les canaux de drainage, ramenant des poissons de vase cueillis à la main, qui étaient jetés sous leurs yeux béants de navrance, où la base aéro, domaine de nos amis, les jeunes pilotes qui faisaient jonction entre les parents et nous, les aînés de la bande enfantine, et terrain de la noria des exercices d’appontage, décollement, appontage, dans le vacarme des Mirage, où la base donc s’est agrandie depuis qu’elle est devenue civile, portée au rang d’aéroport pour Toulon, a empiété sur marais, cabanons, casemates.

C’était – dans une maison qui ressemblait tout de même à celle de la photo, avec juste une végétation plus étique – notre père se faisant silence, secouant les corps des élus, ou volontaires, les maillots attrapés, l’eau sur le visage, en se chamaillant dans des murmures pour avoir accès au lavabo, la revue de détail, les chandails de coton (deux dont un épais), le café officiellement très bon puisqu’une légende familiale voulait que seul lui savait le faire, les tranches de pain emmaillotées de plastique posées dans un couffin sous les palangrottes, le sac de voiles qui attendait depuis la veille près de la porte de la salle, la distribution des charges à porter, comme un honneur.

C’était sortir dans la fraîcheur cristalline du petit matin, la lumière qui montait, la petite brise de terre qui hérissait nos bras, quelques voix dont la pureté de l’air ne permettait pas de comprendre d’où elles venaient… les pieds nus sur le macadam encore froid, sur le sable et les épines de pin.

C’était, tiré sur la plage, cette merveille de bateau depuis longtemps disparu et démodé, l’As, la voile décontractée, pour vivre et non pour concourir.

C’était l’affairement pour la mise à l’eau, le gréements, les places attribuées, le départ et ce moment où on avait, parfois, la joie crispée de recevoir le gouvernail de la main paternelle.

La transparence de l’eau, encore en ce temps, la toile qui fasseille à peine, les bruits de la plage qui s’éveille courant sur l’eau vers nous.

C’était mettre en panne, sortir les plaques de liège et dérouler les palangrottes, attraper dans seau un petit escargot blanc, ceux que l’on récoltait sur les herbes près du marais longeant la base, le croquer pour casser coquille, amorcer, et commencer à fixer le fil vert filant dans le bleu-vert clapotant de la mer, épouser la petite houle qui prend la coque en travers et sentir peu à peu son coeur se brouiller.

Comme nous l’avons appris, nourrir ce vague par une tranche de pain, mais, par la négligence d’un ou une, légèrement imbibée d’eau de mer, râler, lutter et puis vomir, et être balancée à la patouille par le bras paternel.
Le meilleur remède, et c’est ainsi que j’avais appris, depuis longtemps, que je flottais naturellement et jugé totalement inutile d’apprendre une nage académique.

Et puis ce jour de frousse intense où la mer s’est creusée en un éclair, à quelques mètres de notre coque, nous renversant presque, parce qu’une cible avait été larguée par un avion, le câble cinglant et vibrant coupant l’eau… et la vedette qui devait prévenir apparaissant, juste un peu plus tard, accueillie par des injures de mon père, redevenu brusquement officier supérieur.

Et puis, vers midi, venait la brise de mer et le retour.

Un condensé de plusieurs étés à la fin de l’enfance

Texte : Brigitte Celerier