13 3 sahara

C’était au temps de la réorganisation des forces françaises, après l’opération Torch, le débarquement allié en Afrique du Nord, après qu’ait été obtenu, malgré des résistances, le ralliement de l’Afrique Occidentale Française, avant l’arrivée de De Gaulle à Alger.

C’était un avion, un Potez 52, décollant d’Agadès, au petit matin du 5 avril 1943, vers la fin d’une tournée d’inspection, ou de présentation/découverte des différentes bases par le général Pr. adjoint de Giraud. Il emportait 11 passagers dont trois généraux, Pr., Pe. responsable de l’armée de l’air, et B. qui constituait, à partir d’éléments divers, la première division d’infanterie coloniale, après avoir fait partie des émissaires négociant, avec l’appui des américains, l’adhésion de l’AOF.

C’étaient des yeux gourds, ceux des plus jeunes qui avaient prolongé cette nuit d’escale après le dîner et le spectacle de danse, sur une terrasse face au désert.

C’était, à la fin du point fixe, une feuille de papier donnant enfin la météo, c’était une radio qui vivait par à coups, c’était la discrète allégresse de la relative réussite de cette tournée, une légère insouciance.

Mais c’est survoler l’emplacement où devrait se trouver le poste d’In Guezzam, douane entre l’AOF et le territoire des oasis, et ne pas en trouver trace. C’est celui dont j’ai trouvé les notes conseillant de faire cap à l’est, l’avion ayant sans doute été déporté, c’est ce cap tenu un moment avant que le pilote reprenne, curieusement, la direction du nord-ouest comme il l’aurait dû à partir du poste absent.

C’est un début d’agitation quand, à l’heure prévue, on ne voit pas davantage trace de Tamanrasset, et c’est une navigation de femme soûle à sa recherche, trois heures de steeple-chasse au-dessus du Hoggar.

C’est la panne d’essence et les pilotes atterrissant habilement dans la plaine de l’Amadror (mais ils ne le savent pas), un reg de 150 km du nord au sud sur une largeur de 50 km.

C’est calculer qu’il faudra entre dix à vingt jours pour être trouvés, c’est faire l’inventaire de l’eau disponible (une partie de la réserve a servi à laver les mains des mécaniciens) et compter 3/4 de litre par homme et par jour, mais constater qu’ il y a des vivres en presque abondance, augmentées des rations américaines et des fruits achetés à Mossi et Zinder.

C’est l’attente qui commence, à l’ombre des ailes.

C’est, pour la nuit, creuser un trou dans le sable pour l’équipage pelotonné en vêtements de vol et sous la protection des toiles disponibles. Le général Pr., ses adjoints et B. s’installent dans les fauteuils de la cabine passager, le général Pe. et le capitaine B. sur le sol de la salle des cartes.

C’est la vie qui s’organise. Une marche tous les matins, le plus loin possible au début, pour ramener du bois, et se maintenir en forme. Boire un quart de chocolat sucré le matin, se partager du riz à l’eau (récupérée en partie) enrichi d’huile et avoir droit à un quart de Nescafé américain à midi, des conserves et des fruits frais avec troisième quart d’eau pure cette fois le soir.

Et cela dura…j’imagine la dégradation probable de l’ambiance entre ces personnes cohabitant dans un point de l’immensité, vraisemblablement sans forte sympathie entre eux,… Et cela dura et je vois mon billet qui s’allonge, d’ailleurs comment dire le vide des jours.

Alors juste noter Le ou les faits qui marquèrent chacun de ces jours (qui furent beaucoup moins nombreux qu’ils ne le craignaient, ou du moins on peut en juger ainsi, solidement ancrés dans notre oloé).

Le 7, le capitaine B et un mécanicien partent vers l’ouest, estimant qu’une piste devrait se trouver dans cette direction à une vingtaine de kilomètres. Le mécanicien, qu’il avait trouvé épuisé, affalé sur un rocher, pas très loin de l’avion, est ramené par le général Pr.,  tombé sur lui en faisant sa promenade de l’après-midi. L’attente se poursuit, mais le capitaine rentre bredouille et sans chaussures à l’orée de la nuit.

Le 8, ils ont un moment d’espoir en entendant un bruit d’avion, mais il reste très faible, presque imperceptible, dans l’ouest, un instant, avant de s’effacer. Le général B part à son tour, vers l’est, dans la direction de petits bouquets d’acacias squelettiques, signe de la présence d’un oued, il marche jusqu’à perdre de vue l’avion, il marche en fixant un buisson, et puis,  comme la nuit tombe sans qu’il l’ait atteint, il rebrousse chemin, persuadé pourtant que c’est vers cette zone qu’il faut aller.

Le 9, le capitaine repart, avec la radio, vers le sud cette fois, vers une falaise rocheuse qui borne l’erg, d’où viennent les libellules, les mouches qui leur rendent visite, d’où est même venue une hirondelle qui laisse espérer la présence d’eau. Il revient bredouille, mais ils ont pu, d’après le relief, déterminer leur position vraisemblable, à 305 k au nord de Tamanraset… les espoirs s’envolent, le silence pèse… Une tentative de vol d’eau dans la nuit.

Le 10 le général Pr. décide qu’il faut quitter l’avion et partir, le soir, lorsque la température sera tombée, vers un point, à 230 km environ, qu’il désigne sur la carte, d’après les indications ramenées par le capitaine. Ils se répartissent les charges, et les deux plus bricoleurs ou astucieux fabriquent un baroque traîneau pour faciliter le transport des réserves. Le général rédige un «ordre de mission» – sont bien militaires – qu’ils collent sur la carlingue à l’intention d’éventuels sauveteurs.

Mais vers 10 heures, pendant qu’ils s’activent ainsi, un mécanicien aperçoit des ombres qui se déplacent au sud-est, près des buissons que le général B avait tenté d’atteindre. Ombres qui s’approchent, qui deviennent une caravane de 35 chameaux chargés de bottillons de paille et de peaux de bouc fraîches. Le chef de la caravane, qui est accompagné de deux chameliers, dit qu’ils vont chercher du sel à Timsit, au nord de l’Amadror, et qu’il vient de se ravitailler à un point d’eau, à 8 km environ, au sud-est de l’avion.

Ils le persuadent, en longue palabre, de leur prêter 18 chameaux, il leur donne de l’eau, ils lui servent du café chaud et sans sucre. Comme ils se méfient un peu, et qu’ils craignent qu’il les abandonne avec tous ses chameaux, ils lui demandent de les faire baraquer près de l’avion, jusqu’à leur départ.

Seulement, en fait, c’était le jour fixé par le sort pour la fin de leur aventure, et moins d’une heure plus tard, ils entendent un ronflement d’avion, qui s’approche, et deux Goêlands apparaissent, tournent autour de l’épave, se posent.

En descendent un capitaine et ses deux pilotes, en sont débarqués et dégustés des jus de fruits,  bien glacés par le vol, et de l’eau.

On remercie les chameliers, le général Pe., le capitaine et l’équipage s’installent, avec eau fraîche et vivres pour attendre les secours, et les autres s’envolent vers Tamanraset.

Alger est prévenu, et nul ne sait combien d’espoirs naissants, dans le grenouillage, les intrigues, qui y régnaient alors, se sont évanouis avant de s’exprimer.

Texte: Brigitte Celerier