12 1 4 sainte baume pour cosaques

Or doncques Marie Jacobé, Marie Salomé, et sa servante Sarah la noire (à cette époque on ne le précisait pas encore, de nombreux siècles s’écoulèrent avant qu’elle devienne la sainte patronne des gitans) restèrent au lieu du débarquement, près d’une source qui coulait là et de l’oratoire que les exilés construisirent, en ce lieu où fut édifiée, un peu plus tard, Notre Dame de la barque, Eutrope remonta jusqu’à Orange, Trophime s’arrêta à Arles, Marthe s’en fut vers Tarascon et Avignon, ils s’égaillèrent tous dans les vallées, les montagnes, ou les villes, comme Lazare et sa soeur Marie de Magdala qui s’en vinrent à Marseille.

Ils vécurent, semble-t-il, dans une grotte proche, aux Aiglades. Certains disent que Lazare, dont la tête (il fut décapité.. par les romains ?) est conservée avec d’autres reliques, comme un doigt de Marthe et la main droite et une côte de Marie de Magdala, qui s’est beaucoup détaillée, dans la crypte de la Major, que Lazare donc, celui de Béthanie, fut évêque de Marseille, à moins qu’on le confonde avec un autre Lazare, plusieurs siècles après.

Marie, elle, passa à Aix auprès de Maximin, et puis, dans son désir de retrait absolu, se fit logis d’une grotte, toujours sombre puisqu’orientée vers le nord-ouest, creusée dans la barre rocheuse qui termine cette montagne nommée depuis la Sainte Baume (baume est le nom des grottes en provençal), dans ce coin de l’arrière-pays si froid qu’on y conservait, plus tard, la glace destinée à Toulon et Marseille.

Et force légendes se sont accumulées, accompagnant les pas des pélerins qui, pendant des siècles, sont montés vers elle depuis la plaine, le plan d’Aups, à travers la forêt merveilleuse de chênes tordus et de hêtres, et puis à l’assaut de la barrière rocheuse.

On dit, ou on disait, que tous les jours des anges venaient la chercher pour la déposer sur le Saint Pilon, qu’elle ne mangeait jamais, que Michel s’est dérangé pour la débarrasser d’un dragon qui lui disputait la grotte, et que ses cheveux, en poussant, ont peu à peu remplacé ses vêtements usés à l’extrême…

On dit que lorsque sa mort approcha, les anges vinrent le lui annoncer et l’enlevèrent pour la déposer dans la vallée près du lieu où s’était retiré Maximin, on dit que c’est ce dernier qui lui édifia un tombeau où il fut inhumé lorsque son tour vint, on dit que c’est autour de ce tombeau que fut fondé et construit par Saint Cassien un monastère et le premier cloître de Provence, monastère détruit plus tard par les Sarrasins, que les reliques furent sauvées….

On sait que plusieurs rois de France, et des papes, firent le pèlerinage, qu’au XIVe siècle un chemin a été créé, ponctué de sept oratoires, jusqu’à l’escalier de 150 marches taillées dans le roc, pour conduire à la grotte, si grande qu’une foule peut y tenir – et l’on peut trouver des traces de textes exaltés, ou des relations des légendes et faits sur notre moderne réseau, le pèlerinage et les retraites ayant repris force en nos temps de religiosité – on sait que les Dominicains s’installèrent alors dans un monastère à Saint Maximin avant d’ouvrir, bien plus tard, quand des routes rendirent l’accès plus aisé, une hôtellerie au plan d’Aups, sur le plateau avant la forêt.

Et là Brigetoun, l’ancienne élève des dominicaines, se souvient, se souvient de sa prime adolescence, et d’une retraite en ces lieux, qui étaient moins courus en ces temps, de sa chambre solitaire, petite cellule ouvrant par une lucarne sur le ciel, de l’eau gelée dans le broc, des longues journées de marche rêveuse, non de marche vide, esprit en suspens, pensées tues pour accueillir ce qui venait, en liaison avec l’air, l’espace désert du plateau, les hautes herbes pelucheuses, les fleurs d’ail, le frais lumineux, où elle achevait de se détacher de sa colère, de ses doutes contre la religion organisée, où elle a découvert, pour le perdre, le retrouver, le garder, ce besoin, ce lien avec la spiritualité de la nature, où elle est devenue panthéiste (avant de tenter d’affiner au cours des jours), un de ces moments, que l’on tient secret, même pour soi, avant de les retrouver, examiner dans ses vieux jours, ces moments où l’on entre comme l’on peut dans son moi, après la puberté, qui chez elle fut mystique.

Texte : Brigitte Celerier