Un jour à Brest … Il était une fois…
Les regards se mouillent au gré de la fluidité des corps qui se déplacent le long du comptoir du bar de La gueule de Bois. Nous venions d’y poser nos fesses fatiguées par la déambulation dans la rue Pasteur qui accueille tous les dimanches matin le marché de Brest. Les verres de chardonnay ou les pintes de bière descendent dans les gosiers le temps d’une pose de la langue qui dispense une rumeur chaleureuse que le sourire des barmaids réfléchit en permanence. Quel degré d’importance accorde le cerveau un peu excité ou au contraire embrumé aux récits alambiqués que l’alcool distille sur le zinc ? La langue, (organe musculeux mobile situé dans la cavité buccale de l’homme et de nombreux animaux ; cnrtl) caressée par les liquides ambrés ou le duvet doré et légèrement sucré des petits blancs, prend des tournures internationales voire universelles. Pas besoin de traducteur lorsque l’on s’accoude au comptoir. Après deux ou trois demis tout le monde se comprend. C’est la magie du bistrot. Celle que recherchent et convoitent tous les solitaires mais pas seulement, les couples, les familles même, surtout le dimanche matin, se retrouvent dans cet espace confiné, saturé en corps emmitouflés en hiver ou bien dénudés en été. Toujours sympathique mais parfois inquisiteurs si l’alcool est mauvais ou réveille les blessures au lieu de les panser ce qui est le plus souvent recherché.
Hier soir nous avons traversé l’Université de Lettres, les bâtiments imposants accueillent une bibliothèque où allait étudier mon fils lorsqu’il terminait son internat au CHU de Brest. L’air était froid et humide, l’asphalte collait en raison des travaux de la deuxième tranche du tramway. Nous n’avions pas de ticket pour ce spectacle d’improvisation théâtral imaginé par LIBIDO, une association locale, qui se produisait à la piscine municipale avenue Foch. Lieu insolite que le directeur d’impro habite rapidement par sa voix amplifiée.
Assis sur le béton des gradins en surplomb du petit bain, nous découvrons une joyeuse bande d’acteurs amateurs, brouillons. Tous potaches ils s’égaillent dans et autour le petit bain qu’ils ont transformé en scène-pataugeoire de leur Odyssée improvisée. Avec la mythologie et les contes en toile de fond, un affrontement des forces du bien et du mal, incarné par une lutte fratricide entre deux sœurs jumelles, anime une troupe hétéroclite dont la bonne humeur et le plaisir de se trouver là nourrit le jeu théâtral. Le jeu, économe entraine un public d’amis, de membres, d’étudiants et de curieux tous content d’être là. Entrainés par l’enthousiasme communicatif du directeur d’impro, la foule pacifique participe activement au spectacle, accorde ou enlève la vie d’un acteur désigné par le coordonnateur. Ainsi, dans cette arène d’eau, comme si les jeux du cirque venaient d’être réinventés, une foule pacifique lève ou baisse le pouce. Actrice volontaire d’une comédie réjouissante qui se déroule sous nos yeux ébahis. Il y eut même un moment d’identification tellement forte que la scène devient vivante et exacerbe la haine destructrice des pires sentiments humains. Dans un mouvement de rejet j’eus la désagréable impression de me trouver minoritaire. La foule des acteurs-spectateurs adhère aux exigences du méchant, majoritairement soumise à l’agresseur, elle décide du sort d’un malheureux allié de l’héroïne. Le sympathique et fidèle benêt, Titus, est envoyé aux enfers. Son amie, la chef du paisible village que la méchante sœur veut détruire, reste seule pour affronter une armée de zombies peut-être échappés du Styx que Dante peint dans sa Divine Comédie. Mais le genre théâtral, proche de la Commedia d’el Arte, ne souffre pas d’une fin biaisée, l’exigence d’harmonie et d’équilibre d’une foule avide de concorde précipite l’improvisation vers une fin heureuse. Comédiens, directeur d’improvisation, jusqu’alors au sec car seul détenteur d’un microphone, se retrouvent dans le petit bain à se congratuler là où ils s’étaient entre tués cinq minutes avant.
Comme dans les contes populaires où tout est bien et finit bien, je conclue ainsi :
cric crac mon conte est dans mon sac.
Texte : Jean-Claude Bourdet