Ne va pas au-delà du voile de nuées dans l’obscur biscornu des corridors de pierre quand les mouches affamées jaillissent de la porte, la porte de là-bas. La montagne protège des monstres différents : il n’est pas conseillé d’en chercher les raisons sous peine de mal fatal ou d’un coup de folie. L’être caché dans l’ombre aux yeux de braises bleues, maître du labyrinthe et de ses sortilèges, règne sur tout un peuple de créatures hybrides.
Écrire, tu peux écrire, t’affranchir de l’angoisse, du silence mortifère, oublier le cri rauque des bêtes entravées.
Chanter, tu peux chanter les poèmes de l’île, t’imaginer renaître dans les vertes collines, devenir un saumon tout éperdu d’aurore qui danse dans l’eau bleue d’un fleuve inachevé.
Le mauvais vent reprend sa lugubre saga, la stridente complainte des géants sacrifiés. Dans les détroits brumeux d’irréelles presqu’îles, la gueule des vaisseaux aboient à l’horizon. Poisson crépusculaire dans le sillage des flottes, je me laisse porter par les récits d’errances. La puissance du mythe est le seul talisman qui sauve du harpon de la sombre Immortelle.
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Et ils allèrent sur la mer blanche, terrifiés par les horizons béants qui s’ouvraient en leur gouffre. La poupe de leur vaisseau était comme calcinée par les feux d’un désir. Et le ciel convulsé ouvraient ses chausse-trapes. Les étoiles au ciel faisaient un doux big bang quand les supernovæ agitaient les confins. Les corsaires de la nuit passaient dans les nuées avec leurs bandeaux noirs de diamants constellés. Et les vampires femelles aux chevelures reptiles hurlaient les noirs couplets de sagas apocryphes. Giclements de sang chaud des sexes purulents à la saveur salée des futurs innommables : les sens dézingués par des mots transmutés. Arthur avait raison, le vagabond dément : poésie est abyme. Ses cuisses sont ligneuses, sa poitrine de pierre et ses griffes crochues sous des gants de caresse arrachent nos fantasmes, érodent nos idées et aspirent goulûment nos rêves de lumière. Voyez sur la terre sèche, les poètes sacrifiés…
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Extraire les échardes de l’inconscient bouillant, les gangues incandescentes du plasma intérieur… Ronger les fruits occultes aux noyaux délétères… Enfoncer les doigts nus de l’esprit dans la fange au goût bien putrescent de la noble origine… Peser avec des mots la puissance des morts, les graines de leur os, leurs vapeurs de sang noir… Flotter comme des outres pleines des vents futurs pour ôter la poussière des ruines du monde ancien… Que restera-t-il donc de nos poèmes de feu dans le flot diluvien des larmes torturées ?
Textes : Jean-Jacques Brouard