dans les latrines j’avais l’habitude de jouer

fixer l’instant sans jamais le laisser m’échapper

un sentiment de sécurité

m’y accrocher

en imaginant ceux d’avant

les pestiférés, les prostrés, les emmurés

à attendre sans trop savoir pourquoi

le moment de libérer cette puanteur

tirer la chasse

et parfois entendre mon propre prénom

dériver en apnée au fond du trou

reprendre le chemin des couloirs

me glisser à ma place

tout près du radiateur

là où le crépi murmurait encore certaines choses

difficiles à retranscrire

ne parlant plus le même idiome

je l’ai peut-être lâchement oublié

ce sont les livres qui ne m’ont jamais lâché

des plaquettes et des pavés

sans discrimination aucune

juste un assemblage de briques

assez pour me surélever

des mots qui ne ressemblaient à rien d’autre

des galaxies contenues parfois dans une phrase

de vraies claques

Rimbaud, Miller, London, Istrati

Affamés de découvertes

de justice

d’une toute autre liberté

eux aussi en ont soupé

encaissé

sans jamais sourciller

leur rage a grandi

nourrie de rencontres

de frustrations

de fraternité sauvage

loin des lieux communs

du cordon ombilical

je la sens grandir en moi à mon tour

cette langue souterraine

le Bruit et la Revanche

Texte : Grégory Rateau – Extrait de « De mon sous-sol » à paraître aux Editions Tarmac en février.